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les torts de l’histoire.

prendre sur ce qui se passait sous ses yeux, il jeta au feu le manuscrit de son histoire.

Il est à remarquer, toutefois, que cette difficulté de connaître la vérité la plus prochaine a frappé tous les historiens et qu’ils n’ont pas tous brûlé leurs écrits. Entre les esprits pénétrés de l’incertitude universelle, M. Renan se distingue par un sentiment particulier de défiance résignée. Il ne s’est jamais fait d’illusions sur l’irrémédiable incertitude des témoignages historiques :

« Essayons de nos jours, a-t-il dit, avec nos innombrables moyens d’information et de publicité, de savoir exactement comment s’est passé tel grand épisode de l’histoire contemporaine, quels propos s’y sont tenus, quelles étaient les vues et les intentions précises des auteurs ; nous n’y réussirons pas. J’ai souvent essayé, pour ma part, comme expérience de critique historique, de me faire une idée complète d’événements qui se sont passés presque tous sous mes yeux, tels que les journées de Février, de Juin, etc. Je n’ai jamais réussi à me satisfaire. »

Les esprits indulgents prennent leur parti des trahisons de l’histoire. Cette Muse est menteuse, pensent-ils, mais elle ne nous trompe plus dès que nous savons qu’elle nous trompe. Le doute constant sera notre certitude. Prudemment nous nous acheminerons d’erreurs en erreurs vers une vérité relative. Un mensonge même est une sorte de vérité.

Quant à M. Bourdeau, il ne veut pas être trompé, même sciemment, et il répudie absolument l’histoire.