Page:La Vie littéraire, II.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

papier vont donc répandre par le monde l’émotion qui nous agitait quand nous les tracions. Il y a donc des esprits qui correspondent à notre esprit, des cœurs qui battent avec notre cœur ! Ce que nous disons répond quelquefois dans les âmes.

C’est ainsi que j’ai eu le bonheur de faire goûter, aimer quatorze beaux vers jusque-là inconnus et comme inédits. On m’a écrit de Paris, de Rome, de Bucarest : Quel est donc ce Saint-Cyr de Rayssac ? Ses poésies ont-elles été publiées ? Je réponds d’abord à la seconde question. Les poésies de Saint-Cyr de Rayssac ont été publiées en 1877, chez l’éditeur Alphonse Lemerre, avec une préface d’Hippolyte Babou. Quant au poète lui-même, je dirai avec plaisir ce que je sais de lui et pourquoi je l’aime.

Saint-Cyr de Rayssac naquit à Castres en 1837. Son père, cadet d’une vieille famille albigeoise, fier comme Artaban et pauvre comme Job, avait épousé, à quarante ans, après d’innombrables aventures d’amour, une innocente jeune fille, mademoiselle Noémi Gabaude. Royaliste et duelliste d’inclination, il était devenu directeur des postes par l’injure du sort. C’était un mari prodigieusement jaloux. Ses perpétuelles fureurs terrifiaient la pauvre créature, qui l’adorait en tremblant. Quand il la vit enceinte, ses soupçons redoublèrent : « Malheur à vous, lui criait-il, si votre enfant n’a pas les yeux bleus ! » Et la pauvre femme, frissonnant et pleurant, priait Dieu de bleuir les prunelles du petit enfant qu’elle portait dans son sein.