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distiller la terreur comme ce Dostoïevsky dont on a dit : « Sa puissance d’épouvante est trop supérieure à la résistance nerveuse d’une organisation moyenne. » D’ailleurs, il avait, pour traiter un semblable sujet, un avantage que M. Hector Malot ne lui enviera pas. Il était épileptique et, par cela même, en communion directe avec ces âmes qu’une obscure maladie voue au crime et qu’un physiologiste moderne propose de désigner sous le nom d’épileptoïdes. Cette maladie nerveuse le travaillait quand il écrivait Crime et Châtiment. Il eut, pendant la composition du livre, des accès terribles. « L’abattement où ils me plongent, dit-il, est caractérisé par ceci : Je me sens un grand criminel ; il me semble qu’une faute inconnue, une action scélérate pèsent sur ma conscience. » De là cette sympathie qui l’attachait à son malheureux Raskolnikof.

Oui, malheureux, car c’est être malheureux que d’être criminel. Les méchants sont bien dignes de pitié et je ne suis pas éloigné de comprendre la folie de ce prêtre catholique dont le cœur saignait à la pensée des souffrances de Judas Iscariote. « Judas, se disait-il, a accompli les prophéties ; en livrant Jésus il a fait ce qui était annoncé et concouru à l’accomplissement du mystère de la Rédemption. Le salut du monde est attaché à son crime. Judas fit le mal ; mais ce mal était nécessaire. Faut-il qu’il soit damné pour l’éternité ? » Ce prêtre agita longtemps cette idée dans sa tête, et il finit par en être absolument possédé. Il en souffrait beaucoup, car elle contrariait la foi de son âme, la foi de sa vie