Page:La Vie littéraire, I.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur inutilité fait leur grandeur. On se dévoue pour se dévouer. L’objet des plus beaux sacrifices est souvent indigne, quelquefois nul. Par la fureur d’une sorte de sublime égoïsme, la charité ressemble à l’amour. Sans doute la vertu est une force ; c’est même la seule force humaine. Mais sa destinée fatale, est d’être toujours défaite. Elle donne à ses soldats l’incomparable beauté des vaincus. Voilà bien longtemps que la vertu frappe le mal à coups redoublés ; mais le mal est immortel : il se rit de nos coups.

Oui, le mal est immortel. Le génie dans lequel la vieille théologie l’incarne, Satan, survivra au dernier homme et restera seul, assis, les ailes repliées, sur les débris des mondes éteints. Et nous n’avons même pas le droit de désirer la mort de Satan. Une haute philosophie ne gémira pas sur l’éternité du mal universel. Elle reconnaîtra, au contraire, que le mal est nécessaire et qu’il doit durer ; car, sans lui, l’homme n’aurait rien à faire en ce monde. Il serait comme s’il n’était pas. La vie n’aurait pas de sens et serait tout à fait inintelligible. Pourquoi ? Parce que le mal est la raison d’être du bien et que le bien est la raison d’être de l’homme. Si, par impossible, — oh ! ne craignez rien, — si, par impossible, le mal disparaissait jamais, il emporterait avec lui tout ce qui fait le prix de la vie, il dépouillerait la terre de sa parure et de sa gloire. Il en arracherait l’amour inquiet des mères et la piété des fils, il en bannirait la science avec l’étude, et éteindrait toutes les lumières de l’es-