Page:La Vie littéraire, I.djvu/223

Cette page a été validée par deux contributeurs.
199
LE CHEVALIER DE FLORIAN.

boration au Journal de Paris, avec André Chénier, pouvait n’être pas oubliée. Pourtant il n’hésita pas, se présenta devant la municipalité et obtint la liberté du beau-frère de Sophie. Est-il besoin de dire qu’il n’en fut pas aimé davantage ? Heureux encore si on lui pardonna d’avoir laissé voir une grandeur d’âme que l’homme aimé n’avait point montrée ! C’est là un grief qu’une femme qui aime ne supporte pas volontiers.

Le chevalier faisait visite assez souvent à madame Le Sénéchal à Montrouge. Il avait perdu sa gaieté et ne montrait plus à Sophie ni amour ni galanterie. « Un soir, dit Lacretelle, il entra brusquement au moment où nous improvisions, vaille que vaille, une comédie-proverbe tirée de Gil Blas, où le général Baraguay d’Hilliers, à la grande et noble stature, représentait le capitaine Roland, moi Gil Blas, et la jolie madame d’Audiffret la vieille Hébé, qui servait à boire aux voleurs. Je ne vis jamais une figure plus sombre, plus indignée que celle de Florian. C’était un prophète aux cheveux hérissés. Il venait de lire une séance des Jacobins, pleine d’atroces propositions qui ne devaient être que trop tôt converties en décrets, et pour lui il les lisait comme autant de décrets déjà rendus. Il semblait se plaire, pour nous punir de notre gaieté, à nous pétrifier de terreur. Peu s’en fallut qu’il ne nous annonçât notre mort à nous tous. L’avis eût été bon s’il y avait eu des moyens de fuir. C’est ce que fit observer avec douceur madame Le Sé-