Page:La Vie littéraire, I.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les arts vous inspirent trop de haine, et je crains, monsieur, que vous ne soyez un moraliste partial.

Il me tira son large chapeau et me dit :

— Je ne suis pas moraliste, monsieur ; je suis sculpteur, poète et romancier.

Quand il fut parti :

— C’est un homme qui a beaucoup d’esprit, monsieur, me dit le bouquiniste ; mais il n’est pas heureux, et Balzac lui a fait perdre la tête.

Je n’ai pas revu depuis ce jour l’homme au grand chapeau. Mais le souvenir de cette conversation me revient à l’esprit tandis que je parcours le Répertoire de la Comédie humaine, que M. Calmann Lévy vient de m’envoyer. Ce répertoire a été dressé soigneusement par deux balzaciens enthousiastes, MM. Anatole Cerfberr et Jules Christophe.

Il contient la biographie sommaire des deux mille personnages que Balzac a conçus, enfantés et dessinés dans son œuvre énorme. En feuilletant ce Vapereau d’un nouveau genre, je suis confondu de la puissance créatrice de Balzac, et je suis presque tenté de crier à l’impie, comme faisait l’homme au chapeau. Je demeure stupide et j’admire, C’est un monde ! Il est inconcevable qu’un homme ait suivi, sans les brouiller, les fils de tant d’existences. Je ne veux pas me faire plus balzacien que je ne suis. J’ai une préférence secrète pour les petits livres. Ce sont ceux-là que je reprends sans cesse. Mais, quand Balzac me ferait un peu peur, et si même je trouvais qu’il a parfois la