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de mauvaises nominations, pour le discréditer ; et une Chambre où domine le parti opposé à celui qui à la majorité au Sénat, s’obstinera à contrecarrer toutes les initiatives de l’autre membre du corps législatif. Et l’autorité judiciaire ne fera qu’annuler, comme contraires à la Constitution, toutes les lois que le Congrès aura eu l’air de voter en faveur de la classe ouvrière et protégera les capitalistes dans la violation même du droit commun.

Telle est la contradiction entre la théorie constitutionnelle et la pratique. La théorie, ou plutôt la fiction, veut que les élections soient faites par le suffrage universel et les lois par les représentants élus du peuple. Les élections de 1888 furent faites principalement avec l’argent réuni par l’Association des industriels de Pensylvanie. Chaque contribuable stipula une récompense pour lui ; le tarif Mac-Kinley fut rédigé sous la dictée de ces millionnaires ; on pourrait, en le parcourant article par article, marquer à côté de chacun le nom de l’industriel qu’il concerne et la somme versée pour l’obtenir.

La fiction veut que les sénateurs représentent dans le gouvernement les intérêts généraux des différents États ; en réalité, ce sont de gros capitalistes, des rois de l’or, du coton, du blé et du fer qui siègent au Sénat ; et ils sont la pour patronner leurs propres intérêts.

La fiction est que le Sénat exerce un contrôle sur certaines nominations faites par le président ; en effet, le président et le parti dominant au Sénat se partagent les places, ce qu’en argot parlementaire on appelle square. Parfois les deux partis s’accordent sur une liste de nomination commune (slate) ou au sujet de bills qu’ils se votent réciproquement ; mais il arrive qu’un parti, après avoir fait sa part, se refuse à voter les bills de l’autre ou agréer aux nominations réclamées par l’autre : on appelle cette rupture d’engagements, « rompre le tableau noir (to break the slate) ». A part les ententes de parti à parti, il y a des accords pris entre des représentants influents pour se rendre des services mutuellement. On donne à cette action concertée des noms différents, tels que log-rolling, reciprocal jobbing, dickery, harmony, jointdeal. Il y a tout un vocabulaire d’expressions relatives aux intrigues et aux tripotages parlementaires. « Lobby », ce sont les démarches officieuses faites auprès du gouvernement et des membres du Congrès pour obtenir des bills favorisant des intérêts privés ; et « lobbiers » une catégorie de personnes, appartenant ou même étrangères au Parlement, qui font un métier de servir d’intermédiaires entre les banquiers ou capitalistes et les législateurs. Un mot caractéristique est « strike » ; il signifie une sorte de chantage parlementaire. Un membre du Congrès propose un bill qui menace les intérêts d’une Compagnie, et il se fait payer pour le retirer.