L’excitation nerveuse, résultat de l’excessive tension de toutes ses facultés qu’avait dû exercer Véra pour l’accomplissement de cet acte de dévouement, avait disparu ; elle était redevenue la jeune fille mélancolique et rêveuse, renfermée en elle-même, que j’avais connue jadis. Elle avait un peu maigri et semblait plus âgée, mais ses yeux bleus avaient conservé leur expression d’énergie et de courage ; j’étais touchée par le spectacle des tendres soins qu’elle prodiguait à ses deux compagnes et surtout à la plus âgée ; on voyait qu’une étroite amitié, née de leur commun malheur, les unissait déjà.
Sauf la police, qui était en force, il n’y avait pas foule au départ : quelques personnes étaient venues par simple curiosité ; d’autres, ayant des parents ou des amis en Sibérie, voulaient leur envoyer des nouvelles par l’entremise de ceux qui partaient.
J’eus à peine le temps de dire quelques mots à Véra, car on se pressait autour d’elle. La cloche sonna pour la troisième fois, le train allait partir ; Véra me tendit la main par la fenêtre.
À ce moment, l’image du sort qui attendait cet être plein de jeunesse et de grâce se présenta si vivante à mes yeux que je ressentis une douleur profonde et ne pus retenir mes larmes.
— C’est à cause de moi que tu pleures ainsi ? dit Véra avec un suprême sourire sur les lèvres. Ah ! si tu savais quelle profonde pitié j’éprouve pour vous tous qui restez !
Ce furent ses dernières paroles.