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Je compris aussitôt ce que j’avais à faire. Il fallait demander à l’empereur la permission d’épouser Pavlenkow.

— Mais Véra ! Est-il possible que tu n’aies pas pesé la portée d’un tel acte ? En somme, tu ne connais pas Pavlenkow, tu ne sais pas s’il mérite ce sacrifice !

Véra me regarda d’un air sévère et surpris.

— Et tu dis cela sérieusement ? me demanda-t-elle.

Ne comprends-tu pas que si je n’avais fait tout ce qui dépendait de moi pour le sauver, j’aurais par cela même participé à sa perte ?

Dis-moi, je te le demande, si tu n’étais pas mariée, n’aurais-tu pas agi comme moi ?

— Non Véra, je ne crois pas que je m’y fusse jamais décidée, répondis-je en toute sincérité.

Véra me regarda fixement.

— Je te plains ! me répondit-elle enfin. Quoi qu’il en soit, je savais que mon devoir était de l’épouser. Mais comment en obtenir la permission ? Lorsque je fis part de cette décision à l’avocat, il s’écria que c’était pure folie. Moi-même je ne savais que faire ; tout à coup je me souvins de quelqu’un qui pourrait m’y aider. As-tu entendu parler du comte Ralow ?

— De l’ancien ministre ? Certainement. On dit même que, quoique éloigné des affaires, il est encore un des conseillers de l’empereur ! Mais comment le connais-tu ?

— C’est un de mes parents éloignés, qui fut à ce qu’on dit admirateur passionné de ma mère. Il m’a souvent prise dans ses bras en me donnant des bonbons quand j’étais enfant. Il va sans dire que jamais je n’avais eu l’idée de me rappeler à son souvenir : que pouvait-il y avoir de commun entre nous ! Mais dans cette occasion je pensai qu’il pourrait m’être utile. Je lui écrivis pour lui demander audience. Il me répondit sans tarder, en me fixant le jour et l’heure où il pourrait me recevoir. Ne te figure pas que je me présentai à lui avec mon costume de nihiliste. Pas si naïve ! Je les connais ces vieux pêcheurs qui font pénitence sur leurs vieux jours ! Cela ne les empêche pas d’aimer les jolis minois : dès qu’ils voient une jolie femme, ils tombent en pâmoison et sont incapables de lui refuser quoi que ce soit. Aussi, je me fis belle ; c’est même à cette occasion que je commandai la robe que voici ; et avec cela je pris l’air le plus modeste, d’une vraie sainte, quoi ! Le comte m’avait donné rendez-vous pour neuf heures du matin. En arrivant, je fus frappée du luxe inouï qui règne dans son palais, inconciliable, semblerait-il, avec les dispositions d’un ascète qui veut faire pénitence ! Un suisse à hallebarde m’ouvrit la porte : il ne voulait pas me laisser monter, mais je lui montrai la lettre du comte ; alors il frappa un coup sur