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royale main, il calotera les pillards et chapardeurs, et s’il ne peut ou n’ose, il les mouchardera. Sa liste civile ? Il aura son os en permanence, tout comme le sultan ; de temps à autre, le fond d’une blague à tabac. Il est congédié par un juron affable et un coup de pied protecteur : « Tire tes pattes, roi Bob ! Décanille, roi Bob ! Plus vite que ça, roi Bob ! Ouste ! »


Voilà comment la civilisation civilise. Après avoir tué, elle dégrade. Son dernier triomphe est de dissoudre les âmes, avilir les cœurs, démoraliser les caractères. Quand on fusillait les sauvages par tas et que les blessés étaient achevés par les bouledogues, quand le colon massacrait les sauvages, notre sensibilité trouvait à redire. Mais aucun blâme n’est encouru depuis que l’on extermine les noirs par les noirs. Voire, le gouvernement mérita l’éloge de nos philanthropes quand il institua une fonction nouvelle, celle du « protectorat des indigènes » et qu’il paya sur la caisse publique une douzaine de plumitifs avec carte blanche pour libeller tous griefs, appels, remontrances et protestations, avec les pouvoirs les plus étendus pour calligraphier tous mémoires, considérants, protocoles, et grossir la paperasse qui s’amoncelle dans la chancellerie aux larges armoires.

Élie Reclus