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la prostitution en russie

pawnbroker (prêteur sur gages), puis elle va traîner au public-house, guettant le buveur généreux qu’elle emmènera moyennant quelques verres de whisky.

Étant donnée l’absence de maisons publiques, tant à Londres que dans les autres villes de la Grande-Bretagne, la prostitution y revêt mille formes brutales ou hypocrites. Les grands parcs et principalement Hyde-Park sont en réalité d’immenses lupanars où, malgré la mauvaise saison, sous le brouillard glacé, des couples s’étreignent sur la pelouse, sur les larges bancs, sous les grands arbres. Les public-houses servent aussi au rendez-vous des raccrocheuses ; ils sont écœurants le samedi soir, principalement dans Drury-lane et l’East-end. Les bureaux de tabac jouissent aussi d’une fort mauvaise réputation ; en général, ils possèdent une ou deux belles filles de mœurs faciles, qui, lorsque le client leur tend une livre sterling (25 francs) pour un achat de 2 pence (20 centimes), l’invitent d’un coup d’œil à les suivre dans l’arrière-boutique.

Telle est la grande plaie causée, dans tous les pays, par la misère. La société qui ne cherche pas à supprimer les causes pour empêcher les effets, repousse et méprise ces malheureuses, tout en s’inclinant servilement devant la véritable prostitution à laquelle se livrent les gens riches, prostitution mille fois plus écœurante. Parmi ces familles aristocratiques, où le mari et la femme vivent ensemble aux yeux du monde, combien en est-il où chacun des deux époux ne cherche à satisfaire au dehors les caprices de ses sens ? Leur richesse ne leur en donne-t-il pas tous les moyens ? La Pall Mall Gazette, il n’y a pas longtemps, a jeté une étrange lumière sur les vices de la haute société anglaise. La fameuse tzarine Catherine II, qui mérita le surnom de Messaline, choisissait parmi ses gardes du palais les mâles les plus beaux et les plus forts, elle profitait des revues et des grandes manœuvres pour jeter son dévolu sur l’un ou l’autre de ses esclaves. Le tzar Alexandre II, que les terroristes firent sauter, était l’homme le plus vicieux du monde. Les dames du palais ne lui suffisant pas, il rendait de fréquentes visites à l’un des plus aristocratiques instituts de jeunes filles, Smolnïi monastère, où, comme dans un simple harem, il choisissait des favorites momentanées.

Les lois russes ne permettent au tzar de se marier qu’une fois. Après la mort de la tzarine, Alexandre II avait pris pour femme la princesse Dolgoroukaïa et ordonné au pope du palais de célébrer la cérémonie du mariage. Cette union n’était pas reconnue par le synode et, après la mort du despote, la pseudo-impératrice se retira avec ses enfants à Paris.

Il ne sera sans doute pas sans intérêt, après avoir examiné la prostitution en Russie, de la comparer sommairement à la prostitution à Londres et