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naires, comme on les nomme, ne sont pas déshabillées avec l’impudeur des prostituées françaises vivant dans les maisons de tolérance, mais elles sont encore plus adonnées à la boisson. Au lieu de mettre de côté l’argent qu’elles peuvent ramasser, elles le dépensent à boire pour oublier leur triste sort. Aussi, l’abrutissement et la maladie aidant, deviennent-elles de parfaites esclaves. Aux jours de répit qui leur sont accordés, elles ne quittent pas l’établissement seules, mais sont toujours accompagnées par les maîtres ou par les domestiques. Enfin, comme celles de France, elles doivent presque toujours d’avance à leurs patrons.

Les prostituées juives, que leurs parents mêmes envoient des provinces dans les grandes villes, notamment à Saint-Pétersbourg, Moscou, Odessa, ne s’abandonnent pas, tout en livrant leur corps.

Pour elles, la prostitution est beaucoup moins une fatalité qu’elles subissent qu’un commerce qu’elles entreprennent. Elles séjournent au lupanar le temps nécessaire pour y amasser une certaine somme, puis rentrent à la maison paternelle, où avec la dot qu’elles ont gagnée de la sorte, elles trouvent à se marier facilement. Leurs fiancés se moquent du passé : ils ont la persuasion que leurs femmes leur seront fidèles et, en général, ils ne se trompent pas, cette qualité étant la caractéristique des femmes de leur race.

L’âpreté des juifs russes est bien connue : tous les moyens pour se procurer de l’argent leur sont bons. Dans les villes occidentales de la Russie, telles que Kovno, Vilna, Varsovie, le mieux que puisse faire un voyageur, c’est de revêtir un costume militaire, le seul qui fasse peur à ces commerçants à outrance. L’étranger qui arrive dans un hôtel, entend frapper à sa porte ; il ouvre : c’est un juif qui, chargé de toutes sortes de marchandises, vient lui faire ses offres de service. Le voyageur a beau le congédier, l’importun insiste, le harcèle, l’accable et bon gré, mal gré, vide tout son attirail dans la chambre. Puis, il finit par vanter les charmes d’une de ses filles et l’offrir sans le moindre scrupule.

La lui refuse-t-on, il ne s’avoue pas vaincu pour cela : il se retire mais, bientôt, au moment où l’étranger se félicite d’être enfin délivré, celui-ci voit reparaître son persécuteur conduisant sa fille, souvent une gamine de quatorze ou quinze ans.

Dans les grandes villes industrielles peuplées de célibataires et où le contraste entre la richesse et la misère est des plus choquants, la prostitution règne sous toutes les formes et dans toutes les classes. À Saint-Pétersbourg, les racoleuses exercent principalement leur trafic sur la perspective Newsky ; un ordre de l’ancien gouverneur Trépoff les a contraintes de limiter leurs allées et venues à un seul trottoir de cette large voie. Les