Page:La Société nouvelle, année 9, tome 1, 1893.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Stiépane Mikhaïlovitch ! Véra ! Êtes-vous ici ? crie la voix sonore de Lise dans le corridor.

Wassiltzew s’éloigne rapidement.

— Véra, à demain ! dit-il, en enjambant la fenêtre du jardin, et disparaît dans l’obscurité.



Une vraie nuit de printemps, troublante et parfumée, pleine de passion et d’un charme mystérieux est descendue sur la terre. Toutes les lumières du village sont éteintes. Tous les bruits cessent peu à peu. Le chalumeau du berger s’est tu depuis longtemps. Les grenouilles se reposent et les cousins eux-mêmes sont fatigués.

De temps en temps on entend un bruissement étrange dans les buissons, un clapotement d’eau dans l’étang ou l’aboiement plaintif d’un chien que le vent apporte d’un village éloigné.

Véra ne peut dormir. Elle n’a pas assez d’air dans la grande chambre qu’elle occupe toute seule. Elle se lève, ouvre la fenêtre et appuie sa joue en feu contre la vitre froide. Ce contact ne la rafraîchit pas ; son visage continue à brûler, son cœur cesse de battre par moments et une inquiétude pleine d’un charme obscur emplit son être.

Quel silence ! Le petit bois semble immense ; les arbres grands et noirs se sont comme rapprochés pour se consulter sur un mystère étrange et important. Tout à coup un son vibrant arrive jusqu’aux oreilles de Véra ; c’est une troïka qui passe sur la grand’route.

L’air est tellement pur et transparent que l’on entend le bruit des clochettes à une grande distance, cinq kilomètres peut-être ; il cesse, l’équipage tourne la colline probablement ; mais le voilà de nouveau, le son est de plus en plus distinct ; les chevaux vont évidemment au galop ; on entend déjà leur piétinement, le claquement du fouet et la voix du cocher. Mais le bruit cesse. Chose bizarre ! on dirait que l’équipage s’est arrêté tout près d’ici.

C’est étonnant combien ce son des clochettes d’attelage est émouvant dans le silence de la nuit ! Et pourtant on sait qu’il ne peut avoir pour vous aucun intérêt. Le plus souvent c’est un juge de paix ou un commissaire de police qui arrive au village pour dresser un procès-verbal. Cela n’empêche pas que le cœur ne commence à battre plus rapidement dès qu’on entend ces grelots argentins sur la grand’route.

Quelque chose semble vous appeler, vous attirer vers des contrées lointaines et inconnues.

— Que la vie est donc belle ! pense Véra, et d’un geste involontaire, elle joint les mains comme pour une prière. Wassiltzew se dit matérialiste, et