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Vraiment, notre civilisation est une belle chose. Pourris, tombant en morceaux, nous allons à notre tour pourrir, alcooliser et syphiliser des races pures et nobles qui veulent rester éloignées de notre fumier.

Pendant l’année 1896 encore on a vu commettre le crime humanitaire le plus odieux dont on ait le souvenir. C’est l’assassinat par les Turcs — au sourire de l’Europe qui se dit civilisée — de plus de deux cent mille Arméniens, race superbe d’un développement artistique et intellectuel vraiment remarquable.

Mais nous avons bon espoir ! Bientôt cette odieuse bourgeoisie qui ne rêve que le vol, — oh ! que très légitimement ! très protégé par la loi, — disparaîtra dans une hécatombe qui laissera loin derrière elle toutes les guerres et révolutions passées.

Un Musée Rembrandt. — Le rédacteur en chef du journal hebdomadaire le plus répandu des Pays-Bas, l’Amsterdammer Weekblad, vient d’émettre dans ce journal une idée qui trouve auprès des artistes hollandais un chaleureux accueil.

Il est superflu de vous rappeler l’éclairage et l’emplacement défectueux du Musée de l’État à Amsterdam, spécialement en ce qui concerne les Rembrandt.

La presse internationale a unanimement démontré ces défauts, dès l’ouverture de ce Musée important, qui pèche par la non-réussite de son but même : la salle bâtie en l’honneur du plus grand peintre de la Hollande, vers laquelle converge le bâtiment tout entier.

La plupart des tableaux de Rembrandt qui se trouvent dans ce Musée appartiennent à la commune d’Amsterdam, de sorte que cette ville a éventuellement le droit de les réclamer et de les placer où bon lui semble.

Maintenant, — devant l’opinion motivée et unanime de tous les artistes et spécialistes à l’égard de l’éclairage défectueux et insuffisant de ces œuvres uniques, le rédacteur de l’Amsterdammer Weekblad émet l’idée excellente de fonder un Musée spécial où se trouveraient réunies la majeure part des œuvres de Rembrandt, qui sont en Hollande, sinon toutes ces œuvres.

Et je viens, Messieurs, vous prier très instamment de me communiquer votre opinion sur ce projet qui consiste en ceci :

I. Fonder un musée Rembrandt, consacré exclusivement à Rembrandt, et qui porterait autant que possible extérieurement et intérieurement le style de son siècle.

II. Ce musée, ne pas le bâtir, selon l’usage et le style courant, — lumière froide, salles d’honneur et autres, — mais plutôt comme une maison — chambres de grandeur moyenne, dans le goût de l’époque où vécut et peignit Rembrandt, éclairage autant que possible identique à celui dans lequel il exécuta ses œuvres, afin que celles-ci apparaissent telles qu’elles furent dans l’atelier du peintre. (M. le Dr Bode a récemment préconisé cette idée à propos des tableaux hollandais en général, tous « de chevalet » et d’un caractère tout intime.

III. Tâcher de réunir dans ce Musée tous les tableaux du maître que possède encore la Hollande : la Ronde de nuit, les Syndics, les Leçons d’anatomie, les quatre tableaux de la collection Six, les cinq du Dr Bredius, ceux de la collection Steengracht, de la famille van Weede van Dijkveld et du Dr Harinxma thoe Sloten.

IV. Joindre à ces œuvres célèbres dans le monde entier tout ce que l’on pourrait réunir en fait de dessins et d’eaux-fortes de Rembrandt, et, en plus, donner un aperçu complet de l’œuvre du maître, depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort, au moyen des admirables reproductions mécaniques que l’on peut actuellement obtenir partout.

Dans ce même Musée, créer une bibliothèque qui contiendrait tout ce qui a été publié sur Rembrandt dans tous les pays du monde : le tribut d’hommages de deux siècles.

Faire ainsi un monument unique, d’un intérêt inappréciable, en l’honneur de l’artiste, qui, sans conteste, est un des plus rares et des plus subtils génies qui furent jamais.

M’écrire votre opinion à l’égard de cette tentative, ce sera aider à sa réalisation en contribuant à établir qu’elle trouve dans tous les pays civilisés, chez ceux qui sont à même de l’apprécier, une approbation que je suis convaincu de trouver à l’étranger aussi enthousiaste qu’en Hollande.

Philip Zilcken,    
Hélène-Villa, Bezuidenhout, La Haye (Hollande).