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À notre sens, c’est-à-dire au point de vue de la morale humaine, toutes les religions monothéistes, mais surtout la religion chrétienne, comme la plus complète et la plus conséquente de toutes, sont foncièrement, essentiellement, principalement immorales : en créant leur Dieu, elles ont proclamé la déchéance de tous les hommes, dont elles n’admirent la solidarité que dans le péché ; et en posant le principe du salut exclusivement individuel, elles ont renié et détruit, autant qu’il était en leur puissance de le faire, la collectivité humaine, c’est-à-dire le principe même de humanité.

N’est-il pas étrange qu’on ait attribué au christianisme l’honneur d’avoir créé l’idée de l’humanité, dont il fut au contraire le négateur le plus complet et le plus absolu. Toutefois, sous un rapport il put revendiquer cet honneur, mais seulement sous un seul : il y a contribué d’une manière négative, en coopérant puissamment à la destruction des collectivités restreintes et partielles de l’antiquité, en hâtant la décadence naturelle des patries et des cités qui, s’étant divinisées dans leurs Dieux, formaient un obstacle à la constitution de l’humanité ; mais il est absolument faux de dire que le christianisme ait eu jamais la pensée de constituer cette dernière, ou qu’il ait seulement compris, ni même pressenti, ce que nous appelons aujourd’hui la solidarité des hommes, l’humanité qui est une idée toute moderne, entrevue par la renaissance, mais conçue et énoncée d’une manière claire et précise seulement au XVIIIe siècle.

Le christianisme n’a absolument rien à faire avec l’humanité, par cette simple raison qu’il a pour objet unique la divinité, mais l’une exclut l’autre. L’idée de l’humanité repose sur la solidarité fatale, naturelle de tous les hommes entre eux. Mais le christianisme, avons-nous dit, ne reconnaît cette solidarité que dans le péché, et la repousse absolument dans le salut, dans le règne de ce Dieu qui sur beaucoup d’appelés ne fait grâce qu’à très peu d’élus, et qui dans sa justice adorable, poussé sans doute par cet amour infini qui le distingue, avant même que les hommes fussent nés sur cette terre, en avait condamné l’immense majorité aux souffrances éternelles de l’enfer, et cela pour les punir d’un péché commis non par eux-mêmes mais par leurs premiers ancêtres, qui d’ailleurs furent bien forcés de le commettre : celui d’infliger un démenti à la prescience divine.

Telle est la logique saine et la base de toute la morale chrétienne. Qu’ont-elles à faire avec la logique et la morale humaines ?

C’est en vain qu’on s’efforcerait de nous prouver que le christianisme reconnaît bien la solidarité des hommes, en nous citant des formules de l’Évangile qui semblent prédire l’avènement d’un jour où il n’y aura plus qu’un seul berger et un seul troupeau ; qu’on nous montrera l’Église catholique romaine, tendant incessamment à la réalisation de ce but par la sou-