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morceau de pain. Ce n’est pas l’industrie, c’est le commerce que l’on centralise : Les actionnaires de ces bazars et de ces palais jouent vis-à-vis du prolétaire le rôle que tenait le seigneur féodal vis-à-vis du serf de la glèbe : ils centralisent les bénéfices, nullement la production.

En réalité l’extension des petits métiers, simultanément avec les grandes usines, n’a rien qui doive nous étonner. Les petites industries sont continuellement absorbées, il est vrai, mais parallèlement à ce procès il s’en produit un autre, qui en dérive et qui consiste dans la création ininterrompue de nouvelles branches qui commencent toujours comme petites industries. Toute grande industrie nécessite l’apparition d’un nombre de petites, en partie pour suppléer à ses divers besoins, en partie pour faciliter à ses produits une transformation ultérieure. Pour n’en citer qu’un exemple : les progrès de la filature ont donné lieu à une demande considérable de bobines et de dévidoirs que des milliers d’ouvriers se sont mis à façonner dans le district des Lacs, à la main d’abord, à l’aide de machines peu compliquées ensuite, et ce n’est que récemment, après nombre d’années durant lesquelles on cherchait à perfectionner ces machines, que la fabrication des bobines est devenue mécanique. Du reste, vu le prix considérable de l’outillage et le petit nombre d’ouvriers qu’emploient ces usines, une cinquantaine à la fois, et surtout des enfants, on fait encore aujourd’hui cet article à la main. Les dévidoirs n’ont jamais été façonnés autrement à cause de leur forme irrégulière : on s’aide pour cela de petites machines inventées et modifiées journellement par les ouvriers. De nouvelles petites industries naissent donc constamment, au lieu d’autres qui disparaissent, et chacune passe par un stage de travail manuel avant d’être englobée par l’usine ! Et plus une nation a de génie inventif technique, plus elle possède de ces petites industries auxiliaires.

En outre, la grande industrie fait naître grand nombre de petites en créant de nouveaux besoins parmi les consommateurs. Ainsi, le bon marché des étoffes de coton et de laine, du papier, du laiton, etc., a fait naître des centaines de petites industries tout à fait nouvelles, dont les produits, d’invention récente, encombrent nos maisons. Et tandis que certains de ces petits accessoires de l’ameublement, etc., sont déjà entrés dans la phase de fabrication en grand, tous ils ont eu leur période de fabrication en petit, par la petite industrie. Et, plus il se fait de nouvelles inventions dans une nation, plus elle a de petites industries ; ainsi que vice-versa, plus la petite industrie est développée, plus il y a dans la nation de génie inventif, dont l’absence est si frappante en ce moment en Angleterre, ainsi que le constatait dernièrement un des ingénieurs anglais éminents, W. Armstrong.

En France le nombre et la variété des petites industries est considérable.