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Édimbourg fut délaissée par la cour et par tout le monde des riches parasites. De ruine en ruine High Street devint un lieu de misère, un quartier sordide. Des prostituées étendaient leurs paillasses sur d’anciens parquets, des cheminées monumentales, à boiseries et sculptures, étaient maçonnées et transformées en cabinets d’aisance, dans les wynds ou cours, dans les closes ou culs-de-sac, les ordures s’étaient accumulées à plusieurs mètres de hauteur. Le quartier empuanti à fond, telles impasses, telles rues étroites, sont encore des sentines d’infection. Et la misère y grouille, ordure humaine sur l’ordure des choses.

Survint un homme de cœur et d’intelligence, nommé Patrick Geddes, lequel se dit : « De cette pourriture, de cette infection, de cette misère nous sommes responsables. Et s’il y a culpabilité en cette affaire, les coupables ne sont pas les meurt-de-faim, mais ceux qui vivent à leurs dépens ! »

Ce n’était pas que Geddes fût riche d’écus, mais il était riche d’intelligence et de bonne volonté. Disons tout d’abord que l’individu est un petit homme vibrant et agile. La tête est finement sculptée portant une lourde chevelure qui tombe en casque sur le front. Il se dit Gaël, de la race d’Artus, se porte comme un descendant du Celte vaincu et opprimé, ne se soucie point d’appartenir à la postérité des pirates et vikings, des hordes d’Angles, de Saxons, Norses et autres pillards des côtes de la Baltique ou de la mer du Nord, ni des Normands plus ou moins francisés. L’homme est un savant, célèbre comme botaniste, moins connu comme historien, mais qui connaît beaucoup ; il a même fait au Mexique des études prolongées d’archéologie. De préférence il s’adonne à la biologie, se dit disciple fervent de Flahaut, le professeur de Montpellier, qu’il déclare le plus grand botaniste du siècle. L’ouvrage de Geddes le mieux connu a pour titre : L’Évolution du Sexe et a été écrit en collaboration avec Thomson, son collègue à l’Université de Dundee, où Geddes enseigne la biologie botanique. Son cours, révolutionnaire, exaspère les botanistes orthodoxes qui restent confinés dans la doctrine des immuables espèces. L’enseignement du biologiste s’est répandu en dehors de l’Université, et sous son influence se forment des groupes d’amateurs enthousiastes, sociétés d’ouvriers botanisant le dimanche, qui connaissent admirablement leur flore locale et la respectent ; ils refusent même d’herboriser avec les malencontreux personnages qui s’obstinent à arracher des plantes sous prétexte de collections. Geddes est en relations intimes avec des jardiniers experts qui avaient inventé le darwinisme bien avant Darwin, car celui-ci, dans l’Origine des Espèces, n’a guère fait que rassembler en faisceau les découvertes et observations des jardiniers et des éleveurs.

Édimbourg, le groupe universitaire le plus important de la Grande-