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qu’elle ne serait dirigée par personne. Il y a deux ans, les paysans ne s’étaient-ils pas soulevés d’eux-mêmes à propos de cette loi « del macinato » [1] ? Et remarquez combien juste a été leur instinct. Sur plusieurs points, à Parme, par exemple, ils ont brûlé tout le papier timbré, leur ennemi mortel. L’autodafé de tout le papier timbré officiel, officieux, criminel et civil, me paraît à moi l’un des plus beaux moyens de la révolution franchement socialiste. C’est beaucoup plus humain et beaucoup plus radical aussi que de couper les têtes à la manière des jacobins.

Imaginez-vous que dans toutes les campagnes d’Italie retentisse ce cri : « Guerre aux châteaux, paix aux chaumières » — comme dans le grand soulèvement des paysans allemands en 1510 ; et cet autre encore plus explicite : « La terre aux paysans, c’est-à-dire à tous ceux et seulement à ceux qui la travaillent de leurs bras ! » — Croyez-vous qu’il se trouve en Italie beaucoup de paysans qui se tiendront tranquilles ? Et avec cela brûlez beaucoup de papier et vous aurez la révolution sociale toute faite.

Ainsi, expropriation des détenteurs des capitaux et transformation du capital en propriété collective des associations ouvrières ; et organisation de la solidarité universelle — tel est l’idéal du prolétariat des villes.

Complète liberté locale et la prise en possession de toute la terre par les travailleurs de la terre, tel est l’idéal du prolétariat des campagnes.

Ces deux idéals se laissent fort bien concilier par le principe de la libre fédération des communes et des associations ouvrières proclamé hardiment, il y a un an, par la Commune de Paris. Et s’il n’y avait que ces deux couches sociales, le programme de la révolution sociale serait bien vite tracé.

Mais il y a deux autres couches dont vous devrez tenir compte ; d’abord parce que par leur situation de plus en plus malheureuse, elles deviennent forcément chaque jour plus révolutionnaires, et parce que très nombreuses l’une et l’autre, elles exercent une influence très réelle sur le peuple : c’est, dans les villes, la petite bourgeoisie ; et dans les campagnes, c’est la classe des très petits propriétaires. Ces deux classes n’ont proprement point de programme, étant toutes les deux complètement désorientées. Par leurs traditions et leur vanité sociale, elles tiennent quelque peu aux classes privilégiées. Par leurs instincts de plus en plus menacés et sacrifiés, et par les conditions réelles de leur existence, elles sont par contre de plus en plus portées vers le prolétariat. Pourtant ils conservent encore quelques intérêts qui souffriraient d’une application par trop conséquente et logique du principe socialiste, tel qu’il se dégage déjà des aspirations des masses : concilier ces intérêts avec ces aspirations, sans toutefois sacrifier ces dernières, telle est l’œuvre qui vous incombe aujourd’hui.

  1. Monture.