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sent, par tradition historique aussi bien que par suite de toutes leurs expériences plus modernes, contre les villes. Les paysans détestent les bourgeois.

Aujourd’hui que le prolétariat des villes se réveille et s’organise révolutionnairement en Italie aussi bien que dans tous les autres pays de l’Europe, la campagne, la masse compacte des paysans, est devenue l’unique moyen de salut et l’unique point d’appui pour la réaction. Un point d’appui tellement formidable, qu’aussi longtemps que nous ne l’enlèverons pas à la réaction, nous ne pourrons jamais en triompher, nous serons toujours battus par elle. Toute la question du triomphe révolutionnaire se réduit donc à celle-ci : Comment soulever, comment révolutionner les paysans ?

Mes amis, n’est-il point clair, pour vous comme pour moi, que les formules magiques et mystiques de Mazzini, qui ont perdu aujourd’hui même cette puissance qu’elles avaient exercée jadis sur la jeunesse italienne, sont insuffisantes pour soulever non seulement les paysans, mais même le prolétariat de vos villes ? Peuple des campagnes et peuple des villes ont soif d’émancipation. Mais ce qu’on appelle liberté politique n’émancipe en réalité que la seule bourgeoisie ; et comme cette sorte de liberté organisée en un grand État centraliste, cet État fût-il même une république comme le voudrait Mazzini et comme le veulent encore les mazziniens ; comme la liberté coûte fort cher et comme toutes les dépenses de l’État tombent en dernier compte sur le peuple des travailleurs, il s’ensuit que cette liberté politique écrase d’une charge nouvelle le chameau populaire surchargé à n’en pouvoir plus porter, comme l’a fort bien dit le général Garibaldi. Cette soi-disant liberté politique au nom de laquelle les mazziniens, malgré tant de déceptions cruelles, ne désespèrent pas encore de soulever les masses populaires, sans la coopération puissante desquelles il n’y a point de révolution possible, cette liberté politique ne signifie donc pas autre chose, pour ces masses, que nouvelle servitude et nouvelle misère.

L’émancipation réelle pour le peuple ne pourra être conquise que par la révolution sociale. Cette révolution présentera nécessairement, comme toutes les choses vivantes et actives, deux faces : le côté négatif et le côté positif. Le côté négatif, c’est la distinction de ce qui est, de tout ce qui ruine et opprime la vie populaire ; ce sera précisément l’acte par lequel le chameau populaire jettera par terre le fardeau toujours grandissant qui l’écrase depuis des siècles ; et ce fardeau lui-même est d’une double nature, le fardeau proprement politique et fiscal, qui entrave le développement spontané, le libre mouvement des masses, d’un côté, et qui d’un autre les surcharge et les ruine d’impôts et de taxes, — c’est le fardeau de l’État. L’autre