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L’ESTHÉTIQUE DE LA VIE

était une église catholique. Mais inutile d’aller à Venise ou à Stamboul pour le constater. Entrez dans l’une de nos puissantes nefs gothiques (vous rappelez-vous encore la première fois que vous le fîtes ?) et remarquez combien cet immense espace libre apaise et élève l’esprit, quand même les fenêtres et les murs seraient dépouillés de tout ornement. Songez alors au sens de la simplicité et à l’impression donnée par l’absence de futilités encombrantes.

En résumé, pour nous qui étudions l’art, le moyen le plus sûr pour en favoriser l’avancement, n’est pas difficile à trouver. Ce qui engendre l’art c’est l’art lui-même. Tout ouvrage que nous exécutons et qui est bien fait, sert pour autant sa cause. Tout ouvrage qui n’est que d’apparat, sans aucune sincérité, lui nuit autant. La plupart de vous qui vous destinez à la pratique des arts, vous trouverez assez rapidement, si vous avez des aptitudes pour cela ou non. Si vous n’en avez pas, abandonnez la partie, sinon cela vous apportera des jours nuisibles et vous ferez tort à la cause par de laborieuses prétentions. Mais si vous avez des dons quelconques, vous serez heureux plus que tous les autres hommes. Votre plaisir sera toujours en vous, vous ne pourrez en abuser, car la jouissance, au lieu de l’épuiser, le fait grandir. Si, par hasard, le soir vous vous couchez fatigués, le matin vous vous réveillerez pleins d’ardeur. Le matin vous croirez parfois que c’est de la folie, mais peu après, lorsque votre main aura repris son mouvement accoutumé, de nouvelles espérances surgiront sous elle et de nouveau vous serez heureux. Alors que d’autres trouvent que la vie est comme une plante jetée en terre et qui ne peut croître dans tel ou tel sens, mais seulement comme le vent la pousse, vous savez ce que vous voulez, votre volonté est décidée à le trouver et, quoi qu’il arrive, bonheur ou malheur, au moins vous vivez.

Lorsque l’année dernière j’ai parlé devant vous, je redoutais un peu, lorsque j’eus fini, d’en avoir trop dit sur certains points et de m’être prononcé, dans mon ardeur, avec trop d’amertume. Que quelque parole sévère puisse vous avoir découragés, j’étais certes loin d’une telle pensée. Ce que je voulais, ce que je veux encore ce soir, c’est vous présenter définitivement une grande cause à défendre.

Cette cause, c’est celle de la Démocratie de l’Art, l’ennoblissement du travail quotidien et vulgaire, ce qui un jour mettra l’espoir et le plaisir à la place de la crainte et de la douleur, comme forces excitant l’homme au travail et maintiendra le monde dans la voie du progrès.

Si j’ai convaincu un seul de la justice de cette cause, quelle qu’ait été la vivacité de mes paroles ou quelle qu’en ait été la faiblesse, elles auront causé plus de bien que de mal. Je ne puis croire qu’elles puissent décourager ceux qui y sont gagnés ou tout prêts à l’être. Leur chemin est trop claire-