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LA SOCIÉTÉ NOUVELLE

Jusqu’à présent, nous appréciant d’après ce principe, les bâtisseurs pouvaient bien dire que nous recherchons l’apparence d’une chose plutôt que la chose elle-même ; qu’il nous faut un étalage de vain luxe, lorsque nous sommes peu fortunés, un étalage de stupidité insultante, lorsque nous sommes riches. Ils sont convaincus, qu’en règle générale, nous recherchons ce qui paraît coûter deux fois plus cher que cela ne coûte réellement.

Il ne peut exister une architecture dans ces conditions. La simplicité et la solidité en sont les premiers éléments. Voyez s’il n’en est pas ainsi. Quel plaisir ne nous cause pas une vieille maison à la pensée de toutes les générations d’hommes qui s’y sont succédé ! Ne rappelle-t-elle pas comment elle fut la confidente de leurs joies, le témoin de leurs douleurs, et il n’est jusqu’à leurs folies qui n’y aient laissé leur trace ? Elle nous semble encore aujourd’hui aussi belle qu’elle le parut à eux. Le sentiment réciproque devrait nous frapper à la vue d’une maison nouvellement bâtie, si elle est comme elle doit l’être Nous devrions éprouver un plaisir à penser comment celui qui l’a bâtie y a laissé une partie de son âme pour saluer les nouveaux venus, l’un après l’autre, longtemps après qu’il ne sera plus. Mais quel sentiment peut éveiller en nous une maison moderne ordinaire, quelle pensée — sinon l’espoir de pouvoir rapidement oublier son infâme laideur.

Mais, demandera-t-on, comment faire pour payer cette solidité et ces dépenses extraordinaires. La question me paraît raisonnable. Car il faut détromper une bonne fois cet espoir, qu’on caresse parfois, d’avoir un bâtiment qui serait une œuvre d’art, qui serait donc avant tout construit d’une façon parfaite, au même prix qu’un bâtiment qui n’aurait aucune prétention. En général, il ne faut jamais oublier lorsqu’on entend parler d’art à bon marché, que tout art exige du temps, du travail et des efforts d’intelligence et que l’argent est le seul signe représentatif de ces objets.

Il est nécessaire cependant d’essayer de répondre à la question que je suppose posée : Comment allons-nous payer pour bâtir des maisons convenables ?

Il semble que, par une coïncidence des plus heureuses, le moyen de les payer consiste précisément à faire ce qui peut seul nous donner un art populaire ; c’est, je pense, mener une vie simple. Je ne me lasse pas de le dire, le plus grand ennemi de l’art c’est le luxe ; l’art ne peut vivre dans cette atmosphère.

Lorsqu’on vous parle du luxe des anciens, vous devez tenir compte qu’il n’était pas le même que chez nous. C’était plutôt un penchant pour des actes de folie extravagante que ce que nous appelons luxe aujourd’hui, et ce que vous appellerez peut-être, avec plus de raison, confort. J’accepte le mot et je dis qu’un Grec ou un Romain des époques de luxe, resterait