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L’ESTHÉTIQUE DE LA VIE

celle des autres, dans le sens de l’art, afin de mettre les hommes sur la voie d’un Art pour le peuple et par le peuple, expression du bonheur dans le travail et dans l’usage d’une chose.

Maintenant que nous avons conquis quelque élément de ce que fut l’art ; que nous avons appris à considérer ses anciens monuments comme des amis, pourrons nous dire quelque chose du passé, et dont nous ne voulons pas altérer la face, fût-elle rongée par le temps et les soucis ; que nous avons du temps et de l’argent à sacrifier aux choses de goût, petits ou grands ; que nous avons montré que réellement nous avons eu souci de la nature, jusque dans les faubourgs d’une grande ville. Après avoir été si loin, nous allons songer aux maisons que nous habitons.

Il faut, en effet, vous rendre compte que si vous n’avez pas la ferme intention d’avoir une architecture bonne et rationnelle, il est encore une fois inutile de songer à l’art d’une façon quelconque.

J’ai parlé des arts populaires. Ils peuvent tous se comprendre dans ce seul mot d’architecture. Ils ne forment tous que des parties de ce grand tout, et l’art de bâtir en est le principe. Si nous ne savions ni teindre, ni tisser ; si nous n’avions ni or, ni argent, ni soie ; pas d’autres couleurs qu’une demi-douzaine d’ocres et d’ombres, nous pourrions cependant créer un art digne, conduisant à tout, pourvu que nous ayons du bois, des pierres, de la chaux et quelques instruments tranchants pour utiliser ces matériaux communs, non seulement à élever un abri contre le vent et la pluie, mais encore à donner une expression aux pensées et aux aspirations qui s’agitent en nous.

L’architecture nous mènerait à tous les arts, comme elle le fit chez les hommes primitifs. Mais si nous la méprisons et si nous ne nous soucions guère de la façon dont nous sommes logés, les autres arts en souffriront. Or, je ne pense pas que le plus grand optimiste contesterait que tous, indistinctement, nous sommes logés à l’heure présente d’une façon absolument honteuse. Mais comme pour la plupart nous sommes obligés d’habiter des maisons déjà bâties, il faut admettre qu’il est bien difficile de savoir quel parti prendre, si ce n’est attendre qu’elles s’écroulent au-dessus de nos têtes.

Seulement, nous ne devons pas en rejeter la faute sur les bâtisseurs, comme certains semblent vouloir le faire. Ils sont nos humbles serviteurs et construisent ce que nous leur demandons. Remarquez que les riches ne sont nullement obligés d’habiter de vilaines maisons et que cependant ils le font. Les bâtisseurs peuvent donc bien avoir pour excuse d’y voir un indice de ce qu’on désire.

L’essentiel est de faire ce qu’on peut, de faire comprendre aux gens ce que l’on veut d’eux, en leur montrant ce que nous faisons pour nous-mêmes.