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LA SOCIÉTÉ NOUVELLE

vons-nous faire enfin, chacun de nous, pour conserver quelque germe d’art, afin qu’il puisse s’unir à d’autres, s’étendre et prendre peu à peu le développement que nous désirons ?

Je ne puis soutenir que le premier de ces devoirs vous laisse indifférent, quand j’ai été moi-même témoin de cette réunion enthousiaste où, l’automne dernier, j’eus l’honneur de nous entretenir de la (prétendue) restauration de Saint-Marc à Venise. Vous étiez d’avis, et avec raison, me semble-t-il, que le sujet était d’une telle importance pour l’art en général, qu’il devait paraître simple et naturel à ceux qui s’y intéressaient, de s’adresser à ceux qui devaient décider de la chose, quand même les premiers s’appelleraient des Anglais et les seconds des Italiens. Vous sentiez que la qualité d’amoureux d’art ferait disparaître ces différences. Et s’il vous restait quelque doute, vous vous représentiez qu’il n’y avait qu’un édifice comme celui-là sur la terre et qu’une violation de l’étiquette importait peu, si vos paroles pouvaient quelque chose pour le sauver. Eh bien, il y eut des Italiens qui naturellement, quoique mal à propos, se fâchèrent pendant quelque temps et dans certains de leurs journaux nous invitèrent à nous occuper de ce qui se passait chez nous. Ce n’était pas un argument en faveur de la science de rebâtir la façade de Saint-Marc d’une façon fantaisiste. Mais ceux qui n’ont pas encore jeté un regard sur ce qui se passe chez nous en cette matière, feraient bien de se hâter, bien qu’il soit tard et plus que tard. Car si nous n’avons pas des monuments couverts à l’intérieur de fresques d’or, comme l’église de Saint-Marc, nous possédons cependant des édifices qui sont à la fois des œuvres d’art ancien et des constructions historiques. Songez à la façon dont on les traite et remarquez, puisque nous prétendons en apprécier le mérite, combien l’art est impuissant en ce siècle du commerce.

D’abord, on livre à la destruction bien des édifices, beaux et anciens, dans toute l’Europe civilisée aussi bien qu’en Angleterre, par le motif qu’on les suppose être un obstacle à ce qui est utile aux citoyens, alors qu’un peu de prévoyance suffirait pour les sauver, sans porter atteinte à cette utilité[1]

Mais même à part cela, si nous ne pouvons supporter un léger désagré-

  1. Au moment de corriger ces feuilles pour l’impression, deux de ces cas de destruction se présentent à moi. Le premier a trait aux restes du réfectoire de l’abbaye de Westminster, avec la maison contiguë, Ashburnham House, une belle œuvre faite par Inigo Jones probablement. Le second est celui de Magdalen Bridge à Oxford. Ils paraissent évidemment en contradiction avec l’espoir que je fondais dans l’influence de l’éducation sur le côté esthétique de la vie. En effet, le plan de démolition du premier est poursuivi avec acharnement par les autorités de l’école de Westminster ; le second rencontre à peine de l’opposition chez les membres résidents de l’Université d’Oxford.