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L’ESTHÉTIQUE DE LA VIE[1]


Il y a un mot très clair pour un fait affreux, et dont je dois me permettre l’emploi : le résidu. Ce mot, depuis le moment où je le vis employé pour la première fois, prit pour moi une signification terrible. J’ai eu l’intime conviction que si ce résidu faisait nécessairement partie de la civilisation moderne, comme le pensent les uns ouvertement, la plupart implicitement, alors cette civilisation porte en elle le poison qui un jour lui donnera la mort, comme il causa celle de sa sœur aînée. Si la civilisation ne devait pas aller au delà, il eût mieux valu pour elle de n’avoir pas été si loin. Si elle ne cherche pas à se débarrasser de cette misère et à procurer une certaine part de bonheur et de dignité à tous les êtres humains auxquels elle a donné le jour et pour la procréation desquels elle dépense une si indomptable énergie, alors elle est simplement l’injustice organisée, un instrument d’oppression d’autant plus funeste que celle qui l’a précédée, que ses prétentions sont plus hautes, son asservissement plus subtil, sa domination plus difficile à renverser, basée comme elle l’est sur une masse compacte de bien-être et de confort banal.

Certes, cela ne peut être. Un sentiment marqué se fait jour contre cette injustice. Si le résidu neutralisé énerve tous les efforts de la civilisation moderne pour s’élever au-dessus d’un simple art d’alimentation des hommes et de production de monnaie, cette difficulté est un legs, en premier lieu, des âges de violence et d’injustice brutale et presque consciente, ensuite des âges d’imprévoyance, de précipitation et d’aveuglement. Tous ceux qui songent d’une façon quelconque à l’avenir du monde, contribuent d’une manière ou de l’autre à le débarrasser de cette honte.

Voilà, dans ma pensée, la portée de ce que nous appelons une éducation nationale, que nous avons commencée, qui donne déjà ses fruits et en fera naître plus encore, lorsque chacun jouira d’une éducation ne dépendant pas

  1. Suite et fin — Voir le n° 133 de la Société nouvelle.