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je connais l’entêtement d’Egil, comme aussi la puissance du roi. Il ne sera pas facile de veiller à tout en même temps. Or, Egil ne renoncera pas au voyage, si tu ne t’abstiens pas. Mais Thorolf ira avec moi, » ajouta-t-il, « ainsi que les autres compagnons de route ; il sacrifiera, et il implorera la faveur des dieux pour lui et pour son frère. »

Arinbjörn engagea donc Egil à rester à la maison. « Nous resterons tous les deux, » dit-il. Egil fut d’accord à ce sujet. Thorir et les siens assistèrent au sacrifice ; il y eut une foule considérable et de grands banquets. Thorolf se tenait aux côtés de Thorir, partout où celui-ci allait, et ne le quittait ni le jour ni la nuit. Eyvind fit remarquer à Gunnhild qu’il ne trouvait aucune occasion d’approcher Thorolf. Elle lui conseilla alors de tuer un de ses hommes, plutôt que de ne rien mettre à exécution.

Un beau soir, le roi était allé dormir, ainsi que Thorir et Thorolf, et Thorfid et Thorvald étaient restés dans la salle. Les deux frères Eyvind et Alf entrèrent et prirent place à côté d’eux. Ils étaient fort joyeux. D’abord ils vidèrent la corne en compagnie[1]  ; ensuite ils arrivèrent à la boire chacun à moitié. Eyvind et Thorvald buvaient en commun ; d’autre part, Alf et Thorfid. Vers la fin de la soirée, on but irrégulièrement. Bientôt des discussions surgirent et le langage devint arrogant. Tout à coup Eyvind se leva, tira une courte épée et se jeta sur Thorvald qui fut mortellement blessé. Aussitôt accoururent de part et d’autre les gens du roi et les serviteurs de Thorir ; mais ils étaient sans armes, à cause de la paix sacrée[2]. Des personnes s’interposèrent et séparèrent les combattants au paroxysme de la fureur. Ce soir-là il ne se passa rien d’autre. Eyvind avait violé l’asile sacré ; de ce fait il avait encouru la proscription et

  1. La corne passait de main en main jusqu’à ce qu’elle fût vide. (V. ch. 7.)
  2. L’endroit consacré au culte et réservé aux sacrifices était entouré d’une clôture et considéré comme un asile de paix où l’on se trouvait sous la protection spéciale des divinités. C’était un refuge que personne ne pouvait violer, où l’on ne pouvait porter les armes, où devaient cesser toutes les haines, toutes les inimitiés, toutes les persécutions. La violation de l’asile sacré entraînait la proscription.