Page:La Saga du scalde Egil Skallagrimsson, trad. Wagner, 1925.djvu/139

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 109 —

venaient de débarquer, il envoya des hommes auprès d’eux avec la mission de se renseigner si l’on apportait au pays la paix ou la guerre. Quand les envoyés se présentèrent avec leur message, Thorolf dit qu’on ne causerait aucun ravage, ajoutant que l’on ne voyait nulle nécessité de piller et de répandre la dévastation, vu la pauvreté du pays. Les messagers revinrent chez le jarl et lui firent connaître le résultat de leur enquête. Le jarl comprit que, dans ces conditions, il n’avait pas besoin de rassembler une troupe ; il monta à cheval et sans aucune escorte s’en alla trouver les vikings. Quand ils se trouvèrent réunis, une conversation tout amicale s’engagea. Le jarl invita chez lui à un banquet Thorolf et tous ceux de son entourage qu’il voudrait amener. Thorolf promit de s’y rendre. Au jour convenu, le jarl fit envoyer au-devant d’eux des chevaux de course. Thorolf et Egil se mirent donc en route. Ils avaient trente hommes avec eux. À leur arrivée chez le jarl, ils furent reçus aimablement et introduits dans la grande salle. Aussitôt l’on apporta de la bière, on leur servit à boire, et ils restèrent assis là jusqu’au soir. Avant que l’on dressât les tables, le roi dit qu’on tirerait les sièges au sort, que chaque homme boirait de compagnie avec une femme, pour autant que le nombre de celles-ci suffirait, et que les autres hommes boiraient entre eux[1]. Chacun déposa son lot dans le pan d’un manteau et le jarl les recueillit. Celui-ci avait une fille très jolie et à la fleur de l’âge. Or, le sort décida que pendant cette soirée Egil aurait sa place à côté de la fille du jarl. Elle se promenait dans l’assemblée pour se distraire. Egil se leva et s’approcha de la place qu’elle avait occupée dans la journée. Et lorsque l’on répartit les invités sur leurs sièges, la fille du jarl se dirigea vers sa place et dit :

Que veux-tu, garçon, sur mon siège ?
Rarement tu as livré au loup
Des cadavres chauds.
Je veux avoir seule ma place.
Tu n’as pas vu, en automne, le corbeau
Croasser au-dessus d’un fleuve de sang.
Tu n’as pas été là, lorsque les tranchants des épées,
Effilés comme des écailles, s’entre-choquèrent.

  1. Concernant cet usage, voir ch. 7.