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déguiser ni confesser une vérité si claire et si contraire à son intention, il essaya de me faire prendre le change, et, sans répondre à ce que j’avais dit pour l’établissement de mon droit, il voulut me persuader de ne m’en servir pas. Mais je n’eus pas besoin des lumières que l’intérêt fait trouver même aux plus stupides, pour découvrir le faible de cet artifice et des moyens qu’il tenait pour y réussir ; car il ne me proposa rien de plus délicat que de mépriser ce que je n’avais pas obtenu, et ce qu’il fit d’abord pour m’y disposer fut d’exagérer, avec son éloquence italienne, la gloire de ma naissance, et de me soutenir qu’elle me mettait fort audessus de ces choses-là ; enfin on aurait dit, à l’ouïr parler, que c’était un grand avantage à ma femme de n’oser aller ou d’être obligée de se tenir debout en un lieu où trente autres femmes se trouvaient assises, et que tout le monde saurait qu’il n’y avait point de souverains dans la chrétienté qui ne soient sortis d’une fille de ma maison, dès qu’on verrait les filles de ma maison derrière des demoiselles, parmi lesquelles il y en a qui ne le sont même que médiocrement. De cette belle persuasion il passa à une autre de la même force, et pour me prouver que je ne devais point m’arrêter à l’heure de ce tabouret, il s’avisa d’une raison digne du principal génie de l’État, et qui sérieusement était merveilleuse par l’effronterie qu’il fallait avoir pour oser entreprendre de m’en payer ; car il me dit, et comme un secret et comme un reproche, que ce que je désirais ne pouvait me manquer avec le temps, par la dignité qui était dans notre famille, et m’en parla de si bon air que je fus sur le point de lui demander s’il venait de faire mon père duc