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conjectures ; mais aimant beaucoup mieux qu’on me reprochât de n’être pas heureux en mes jugements que de n’y pas être équitable, je ne pus me résoudre à le condamner sur des fautes qu’il n’avait pas encore commises, et je pensai qu’il était juste de bien espérer d’un homme qui offrait de se soumettre à toutes les censures et à tous les avis. Je tiens même encore à présent que ceux qui se hâtèrent alors de rompre avec lui furent, sans y penser, les premiers auteurs de cette puissance où ils craignaient tant de le voir, et il eût beaucoup mieux valu qu’ils se fussent faits ses modérateurs et ses conseillers, que de se faire ses ennemis. Car, outre que cette qualité faisait soupçonner de mauvaise foi tous les témoignages qu’ils rendaient de lui, elle lui donnait même les moyens de les en convaincre, parce que, n’étant plus en droit d’apprendre de lui les motifs des choses, il leur arrivait parfois d’en blâmer qui méritaient d’être louées généralement. Or il n’eut pas plutôt cette prise sur eux, qu’il n’appréhenda plus qu’ils en eussent sur lui, et la réfutation de quelques calomnies l’ayant mis en état de faire imputer à malice ou à ignorance les plus légitimes accusations, il ne tint plus qu’à lui de faire indifféremment tout ce qui lui plut. Ayant donc bien prévu le malheureux effet d’une haine si précipitée, je m’empêchai facilement de m’y engager contre ma parole, et si je la gardai inviolablement au Cardinal, ce ne fut pas peut-être sans quelque sorte de fruit ; car il eut quelque honte de montrer ses vices à celui qui montrait encore de ne lui en croire point, et il suspendit au moins ses mauvaises inclinations, tant qu’il me fut permis de lui suggérer de bonnes pensées. En effet, soit que ma liberté fût assez discrète pour ne lui fournir