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dait une occasion de l’abaisser. Il donnait cependant des espérances au duc d’Enghien pour l’adoucir ; il ménageait même un peu plus les particuliers, et, bien qu’il fût également opposé à ma fortune, je ne lui voyais pas toujours la même dureté pour moi. Il était maître absolu de l’esprit de la Reine et de Monsieur, et plus sa puissance augmentait dans le cabinet, et plus elle était odieuse dans le Royaume ; il en abusait toujours[1] dans la prospérité, et il paraissait toujours faible et timide dans les mauvais succès. Ces défauts, joints à son manque de foi et à son avarice, le firent bientôt haïr et mépriser et disposèrent tous les corps du Royaume et la plus grande partie de la cour à désirer un changement.

Le duc d’Enghien, que je nommerai désormais le prince de Condé par la mort de son père[2], commandait l’armée de Flandres et venait de gagner la bataille de Lens[3]. Le Cardinal. ébloui d’un si grand événement, songea moins à s’en servir contre les ennemis de l’État que contre l’État même, et, au lieu de profiter en Flandres de cette victoire, il tourna toutes ses pensées à se venger du Parlement[4]. Il crut devoir autoriser de la présence du Roi la violence qu’il avait préméditée, et

    Parlement et la Suite du vrai Journal du Parlement, cités plus loin, forment le complément.

  1. Le mot toujours n’est pas dans les éditions antérieures.
  2. Le prince de Condé, Henri II, mourut le 26 décembre 1646.
  3. La bataille de Lens, racontée, dans le roman du Grand Cyrus, sous le nom de bataille de Thybarra, fut gagnée, le 20 août 1648, par Condé sur l’archiduc Léopold d’Autriche, à qui la veille s’était rendue la ville de Lens (Pas-de-Calais), prise par les Français en 1647, et qui fut cédée à la France par le traité des Pyrénées.
  4. Retz rapporte (tome II, p. 4) que lorsque la nouvelle de la victoire de Lens parvint à Paris, Chavigny lui demanda, en la lui apprenant, s’il ne gagerait pas « que le Cardinal seroit assez innocent pour ne se pas servir de cette occasion pour remonter sur sa bête. »