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l’empêcher de remarquer qu’elle défendait à ses serviteurs de voir son premier ministre. Je devais soupçonner qu’elle ne me disait pas les plus véritables raisons ; mais peut-être aussi qu’elle ne les connaissait pas assez elle-même alors[1] pour me les pouvoir dire.

Cependant le cardinal Mazarin s’établissait tous les jours auprès de la Reine, par sa propre industrie et par celle de ses amis. Ses bonnes et ses mauvaises qualités ont été assez connues et assez publiées, pendant qu’il a vécu et après sa mort, pour me dispenser de les écrire : je ne parlerai que de celles que j’ai remarquées dans les occasions où j’ai eu quelque chose à traiter avec lui. Son esprit était grand, laborieux, insinuant et plein d’artifice ; son humeur était souple ; on peut dire même qu’il n’en avait point, et que, selon son utilité, il savait feindre toutes sortes[2] de personnages. Il savait éluder les prétentions de ceux qui lui demandaient des grâces, en leur en faisant espérer de plus grandes[3], et il leur accordait souvent par faiblesse ce qu’il n’avait jamais eu l’intention de leur donner. Il avait de petites vues, même dans ses plus grands projets ; et, au contraire du cardinal de Richelieu, qui avait l’esprit hardi et le cœur timide[4], le cardinal Mazarin avait plus de hardiesse dans le cœur que dans l’esprit. Il cachait son ambition

  1. Alors n’est pas dans les éditions antérieures.
  2. Toute sorte. (1817, 26, 38.)
  3. « Le fort de M. le cardinal Mazarin étoit proprement de ravauder, de donner à entendre, de faire espérer ; de jeter des lueurs, de les retirer ; de donner des vues, de les brouiller. » (Mémoires de Retz, édition Champollion, tome III, p. 393 et 394.) — « C’étoit une des meilleures maximes de ce cardinal de ne se hâter pas dans la distribution des grâces, parce qu’ordinairement le temps le tiroit d’affaire. » (Mémoires de Bussy Rabutin, tome I, p. 135.)
  4. « Il étoit.... hardi dans ses projets, timide pour sa personne », a écrit plus haut (p. 3) la Rochefoucauld, en parlant de Richelieu.