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elle vint en un jour sur les mêmes chevaux, à une lieue de Verteuil[1], où j’étais. Elle m’envoya un de ses gens me dire son dessein d’aller en Espagne, qu’elle avait perdu sa route, qu’elle me priait instamment de ne la point voir, de peur de la faire connaître, et de lui donner des gens fidèles et des chevaux[2]. Je fis à l’instant même ce qu’elle désirait, et j’allais[3] seul la trouver sur son chemin, pour savoir plus précisément d’elle les raisons d’un départ si opposé à tout ce que je lui avais fait savoir ; mais, comme on avait vu un homme parler à moi en particulier, sans avoir voulu dire son nom, on crut aussitôt que j’avais querelle[4], et il me fut impossible de me débarrasser de beaucoup de gentilshommes qui me voulaient suivre, et qui l’auraient peut-être reconnue : de sorte que je ne la vis point, et elle fut conduite sûrement en Espagne, après avoir évité mille périls, et après avoir fait paraître plus de pudeur et plus de cruauté à une dame chez qui elle logea en passant, que les hommes faits comme elle semblait être n’ont accou-

  1. Le mot est écrit, dans notre manuscrit, tantôt Vertoeil et tantôt Verteuil. C’était une terre de l’Angoumois, avec titre de baronnie, appartenant aux la Rochefoucauld. Le château, situé sur la Charente, a été reconstruit en partie dans ces derniers temps. C’est à Verteuil qu’après la mort de notre auteur on conduisit son corps : voyez Mme de Sévigné., tome VL p. 324.
  2. Voici le billet que Mme de Chevreuse écrivit de Ruffec (Charente, à six kilomètres de Verteuil) à la Rochefoucauld, qui reconnut l’écriture : « Monsieur, je suis un gentilhomme françois et demande vos services pour ma liberté et peut-être pour ma vie. Je me suis malheureusement battu. J’ai tué un seigneur de marque. Cela me force de quitter la France promptement, parce qu’on me cherche. Je vous crois assez généreux pour me servir sans me connoître. J’ai besoin d’un carrosse et de quelque valet pour me servir. » (V. Cousin, Madame de Chevreuse., p. 189.)
  3. J’allai. (1826, 38.) — Leçon peut-être préférable ; toutefois, avec le mais qui suit, l’imparfait s’explique.
  4. Que j’allais me battre en duel.