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MADAME DARGENT




Un poète, connu, compris, classé, catalogué, qui gît imprimé aux rayons de cette stérile bibliothèque de l’École normale, et qui ne serait point quelque autre part, qui ne serait point couvé dans quelque cœur, est un poète mort.
Péguy.

― Elle ne se rend pas compte, dit-il, elle ne se verra pas mourir…

Ainsi parla l’illustre écrivain, mon maître, sur le seuil de la porte. Pour qui le connaît, cette courte phrase, d’une vulgarité si décisive, exprime à merveille la déception d’un cœur sensible devant un dénouement sans grandeur. Après avoir remué, retourné, flairé tant de belles mortes pour livrer les plus touchantes à notre curiosité passionnée, le célèbre romancier ne pouvait se faire aucune illusion : sa propre femme ne se voyait pas mourir, probablement parce qu’elle ne s’était jamais sentie vivre, ayant toujours donné au monde l’exemple de la plus silencieuse vertu. Des trahisons notoires, consommées avec un élégant génie, des scandales sans nombre, enfin mille blessures, n’avaient pas plus entamé un système nerveux si compact que les investigations, plus savantes et plus profondes encore, de l’agonie. En un mot, elle mourait sottement. Aussi curieux qu’on le