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MADAME DARGENT

― Ne recommence pas ces folies !

― Des folies ! Il ne veut pas me croire ! Il ne me croira plus ! Il est trop tard maintenant… Oh ! lâche ! laisse-moi mourir, au moins ! s’écrie-t-elle d’une voix tonnante. Prends ta part de mon fardeau. C’est le secret, c’est ce secret qui me tient en vie ! Il faut que je parle, que j’avoue, que je crie, que je l’expulse, que je me vide de ceci !

― Je n’ai pas menti, dit-elle après un silence.

Une deuxième fois, l’accent de sincérité absolue, décisive, la voix posée, ferme, implacable, après un orage de cris, le touche aux entrailles.

― Tu mens ! jette-t-il, hors de lui.

Ô miracle ! Il a vu à peine le flot des draps et des linges soulevés, tirés au pied du lit, d’un seul coup, et elle est déjà devant lui, à sa hauteur, effroyable. Son corps maigre flotte dans la chemise et à travers la batiste apparaît sur sa poitrine et jusqu’à ses flancs la répugnante morsure des ventouses. Une minute, elle plonge son regard dans le sien, un regard que rien ne soutient plus, pareil à une cruelle bête lâchée, libre. Puis elle fait jusqu’à un secrétaire, dans l’angle de la fenêtre, trois pas saccadés… Sa main plonge dans un tiroir… L’a-t-elle pris et lancé, ou bien s’est-il échappé tout seul, a-t-il fait seul ce bond dans l’espace, jusqu’aux pieds de l’éminent maître, l’étrange objet, luisant comme une flamme, et qui fait en tombant un curieux bruit, vite étouffé ?…

Il regarde à ses pieds ; il regarde de toute son âme. Le collier mystérieux, les trente-deux perles du duc de Roscovitch, les perles célèbres, vues jadis tant de fois sur les épaules de son amie, sont là, dans une buée de sang. Mais cette buée est dans ses yeux, à lui. Il voit, à travers cette buée, la folle, impassible, assise sur son