Page:La Revue du Mois, tome 2, 1906.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
LA REVUE DU MOIS

Le point qui se dégage le plus nettement des nombreux chiffres cités, c’est la difficulté extrême qu’il y a à exprimer par une formule simple le salaire des ouvriers des mines et ses variations ; la connaissance précise du salaire, ce que l’on doit entendre exactement par salaire moyen, sont des sujets de controverses inépuisables. En passant, l’auteur signale l’une des causes de l’âpreté et de la violence des conflits entre les groupements ouvriers divers, violence dont certains excès demeurent incompréhensibles pour les non-initiés : dans les travaux donnés à la tâche, il est possible aux agents du patronat de favoriser d’une manière exceptionnelle certains ouvriers au détriment de certains autres ; si les premiers paient ces avantages en dénonçant leurs camarades, on conçoit que ces derniers ne soient pas disposés à la bienveillance.

Néanmoins, lorsque, laissant de côté les variations accidentelles, passagères ou locales, on envisage les moyennes, il est incontestable que le taux des salaires progresse ; le revenu global des actions des mines augmente aussi de sorte que patrons et ouvriers devraient se trouver également satisfaits de l’évolution économique. M. Simiand explique fort bien pour quelles raisons psychologiques ils sont, au contraire, également mécontents :

On ne se souvient pas des joies autant que des peines. L’ouvrier des mines dont le salaire moyen est aujourd’hui de 4 fr. 50, ne se rappelle pas que celui de son père était de 2 francs à peine et qu’il y a dix ou quinze ans le sien propre était au-dessous de 4 francs ; tout de même que l’actionnaire d’Anzin dont le dividende (par centième de denier) a été de 320 francs en 1900 ne se rappelle pas que son père se félicitait d’en toucher un de 80 francs en 1852, et que lui-même, depuis longtemps, ne l’avait pas connu dépassant 240 francs et l’avait vu souvent beaucoup plus bas. Mais l’ouvrier a présente à l’esprit la réduction de 10 p. 100 contre laquelle il a lutté violemment en 1902, et qu’il a dû néanmoins subir ; il se rappelle sans cesse toute la résistance qu’il doit opposer à la compression, à l’inégalité déprimante du salaire ; tout de même que l’actionnaire songe que depuis 1900, malgré de grands efforts, son dividende a baissé.

Ces réflexions s’appliquent à bien des conflits sociaux ; qu’il s’agisse du superflu ou du nécessaire, l’homme accepte difficilement une diminution de ses ressources et regarde volontiers comme une injure insupportable tout ce qui peut entraîner une telle diminution. Aussi doit-on savoir gré à ceux qui, comme M. Simiand, s’efforcent par une étude statistique et historique impartiale de dégager la réalité du progrès des apparences qui paraissent momentanément la contredire.



Le directeur-gérant : Émile BOREL.