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L’Enfant prodigue de la collection Figdor de Vienne en est tout aussi loin. Point de trait dans les compositions de lui que nous connaissons grâce aux estampes, la Baleine, l’Éléphant, la Parabole des aveugles, Saint Martin distribuant à des pauvres les pans de son manteau, qui ne sorte de la veine du peuple. D’un côté, Bosch, parvenu à la pleine possession de ses instincts, peint des hallucinations religieuses à l’intention des humbles qu’il convient de frapper par des grossissements – et telle est la seconde Marche au Calvaire dont il s’agissait plus haut ; de l’autre, il débride un art complètement neuf de concentration profonde, humaine et « drôle », très simplifié et très explicite – et le Jongleur de Saint-Germain-en-Laye en est le plus typique spécimen avéré, datant des années avancées du maître. Ainsi, en fin de compte, on peut se former une idée de ses acheminements. Il est parti de la tradition, pour aller à la liberté. Il remonte du complexe à l’élémentaire et pousse railleusement, de façon imprévue, sa sincérité d’artiste à l’observation de l’humanité ordinaire, considérée à travers ses actes et ses erreurs, ses préjugés et ses folies.

Le fait capital, c’est qu’un branle commence à lui qui, tout de suite, se propage en Hollande, laisse sa trace en des tableaux de Cornelis Engelbrechtsen, de Lucas de Leyde, du « Maître d’Oultremont » de Harlem, et de bien d’autres, conquiert promptement le centre anversois et décide du double avenir de la peinture familière chez les Hollandais et chez les Flamands. Si l’on n’a pris la précaution de se fixer sur l’influence novatrice de Jérôme Bosch, la genèse de ce qui se révèle de plus original à l’époque suivante échappe. Le branle va de Bosch à Jean Prevost, à Bruges, à Mandyn, à Dirck Vellert, à Pieter Huys, à Bruegel, à quantité d’Anversois, et il atteindra les Teniers. On comprendra maintenant, pourquoi la personnalité du maître de Bois-le-Duc mérite la qualification d’historiquement essentielle et pourquoi il est indispensable, à qui veut bien saisir la suprême et décisive évolution populaire de l’art néerlandais, d’avoir interrogé la vie et le répertoire de Hieronymus van Aken.


L. de FOURCAUD.