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réelle noblesse de l’art si indépendant de Hiernymus Bosch. Passons donc au quatrième groupement de ses tableaux.


IV. Sujets tirés des mœurs


Chacun a dû voir, en ce qui précède, combien, malgré ses excentricités, l’imagination du maître s’incline vers le réel. S’il ne craint pas d’introduire d’inquiétantes apparitions en des légendes où elle ne semblent avoir que faire, — témoins les monstres suscités par lui autour de saint Christophe portant l’Enfant Jésus sur ses épaules, composition anciennement gravée, – il anime aussi, volontiers, les arrière-plans de tableaux religieux d’incidents de la vie ordinaires et d’inattendus traits de mœurs. Souvenons-nous de cette Fuite en Égypte, agrémentée au fond, d’après van Mander, d’un bateleur faisant danser un ours pour quelque monnaie. Rappelons-nous les rustres de l’Adoration des Mages du Prado, juchés sur le toit de la sainte cabane ou regardant les rois adorateurs à travers les brèches du clayonnage. D’autre part, tenons compte de l’ingénieux parti pris du peintre à marquer tout ce qui est mauvais ou louche de signes physiologiques observés sur le vif, mais violemment accentués et mis en saillie. Dans le tableau perdu de la Dispute du saint moine et des hérétiques, mentionné au Schilderboeck, ce saint et son compagnon étaient figurés, nous dit-on, « graves et dignes » en face d’adversaires « des plus grotesques ». Une telle opposition de caractères nous a été sensible à divers degrés d’intention critique, entre le Christ et les différents acteurs des Ecce Homo et des Marches au Calvaire de Hieronymus. Enfin, ayons pleine conscience de l’incroyable curiosité de l’anormal, du contrefait, du mal formé, du dégradé, qui pousse à chaque instant le peintre à l’analyse des dégénérescences humaines. Il y avait au palais royal du Prado, à Madrid, avant l’incendie de 1608, l’image peinte par lui d’un enfant phénoménal, « aussi grand, au troisième jour de sa vie, que s’il avait eu sept ans ». À la Bibliothèque Albertine, de Vienne, on montre, sur une feuille d’études de sa main, trente et un dessins d’infirmes. C’est d’infirmes qu’il avait entouré, dans une peinture disparue, heureusement reproduite en une belle planche de l’atelier de Cock, son Saint Martin debout sur un bac et partageant entre ces pauvres hères