Page:La Revue blanche, t3, 1892.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’un certain nombre d’émotions vives ; et quand eux-mêmes auront grandi et feront l’humanité, comme dit M. Lavisse, la paresse générale les aura saisis. Mais il faut ajouter que les grands enthousiasmes populaires n’ont jamais abouti qu’à des déceptions. Tous les mouvements dont le peuple a pris l’initiative ont précisément donné le contraire de ce que le peuple en attendait. En 1789, il voulait une monarchie constitutionnelle ; au bout d’un an on lui a donné la République une et indivisible, et puis sont venus le césarisme honteux du 18 brumaire, et le césarisme avoué de l’an XII. En 1830, il voulait la République ; Talleyrand et Laffitte lui ont escamoté son insurrection, et ç’a été Louis-Philippe Ier, roi des Français. En 1848, la Bourgeoisie rêvait une République du capital, le faubourg St-Antoine une République du travail, on a servi les faubourgs aux journées de Juin et la Bourgeoisie au 2 Décembre. La Constitution de 1875 a été trop républicaine pour les monarchistes, trop monarchiste pour les républicains. Elle n’est même si solide que parce qu’elle ne satisfait personne. Toujours est-il que depuis un siècle il a suffi qu’un grand mouvement d’opinion réclamât une forme de gouvernement, pour que dans un bref délai fût réalisée la forme contraire. C’est vraiment à vous faire perdre le goût des barricades. L’indifférence du peuple en matière de politique est faite d’une lassitude, mais aussi d’une désillusion.

Mais il est temps de passer à des observations plus paradoxales. Trop peu de citoyens participent à la vie publique. Le suffrage universel, dans une constitution comme celle qui nous régit, est nécessairement une duperie. Sauf dissolution d’un corps élu ou décès prématuré d’un de ses représentants, un bon citoyen fait en quatre ans trois voyages de son domicile particulier à la section de vote.

Les conseils municipaux manquent d’indépendance ; les conseils généraux manquent d’initiative. Quand ils sont républicains, ils font tout ce que le préfet leur