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Néanmoins j’oserai dire que l’abandon de ces forces n’a qu’une importance restreinte ; d’autant que pour les mettre en œuvre, il coûterait gros de peines et d’argent. Combien plus grande est la faute que nous commettons envers le Créateur lorsque nous négligeons les épidémies dont Sa Toute-Sagesse nous gratifie ! Il m’était réservé de montrer quel parti est tirable de ces purgations ethnologiques. Mes contemporains se lamentent, souscriptionnent, écrivassent, s’emphénolent, cependant que je rédige à leur bénéfice le présent mémoire sur lequel j’attire votre attention. Je compte que vous m’aiderez à répandre la lumière ; au besoin, je pétitionnerai vers les Chambres, car j’ai, comme tous les grands penseurs, l’entêtement de sauver l’univers, même malgré lui.

Soit, en exemple, la plus commune et la plus maniable des épidémies : le Choléra. Sous l’empire de sentiments divers, peur ou indifférence, nous le laissons vagabonder à son aise, frapper au hasard, sans que le souci nous vienne de le domestiquer. Subitement nous manifestons à son égard une défiance qui se traduit par des cordons sanitaires, des arrêtés préfectoraux, mesures préventives et polichinelleries analogues. Il s’ensuit que les bons et les mauvais, les riches et les pauvres, les sots et les compréhensifs meurent pêle-mêle, à l’instar des mouches, sans aucune méthode. — Regrettable !

Voici ce que je propose. Dès que se sera produit un cas de choléra (j’entends l’asiatique, le seul qui donne des résultats sérieux) sous prétexte de circonscrire le fléau, on internera l’initial moribond accompagné de ses brancardiers dans le Palais des Machines ; là, ils trouveront ce qui peut adoucir une agonie : jeux de cartes, livres gais, boissons spiritueuses, etc. Puis, on enverra les rejoindre tous ceux dont l’individualité, faisant double emploi, occasionne de pénibles luttes entre citoyens, tous ceux aussi qui gênent le fonctionnement de notre machine gouvernementale. Nous n’aurons pas la cruauté de les y contraindre par sergent de ville. Non !! Nous exploiterons leur vanité en les nommant Membres de commission d’étude, obligés par leurs fonctions à visiter le siège de l’épidémie, et à s’y cantonner jusqu’à cessation d’icelle. Or, comme on leur aura soigneusement confisqué les désinfectants et les prophylactiques, il y a gros à parier qu’ils y laisseront leurs os. Grâce à ce détour