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« Beaucoup, dit ailleurs le même auteur, n’arrivent à conclure à un Dieu personnel que parce qu’ils désirent, ils veulent a priori que Dieu soit personnel. » Et il démontre que les fameux syllogismes dont se composent les Preuves de saint Thomas d’Aquin ne sont que d’inconscients sophismes. Si tant d’hommes, doués de sens pratique, ont accepté ces Preuves comme suffisantes, c’est surtout parce qu’ils les considéraient comme inutiles, étant convaincus d’avance et, sans démonstration, de l’existence de Dieu.

Les raisonnements de l’abbé Hébert sont très justes, mais les docteurs en théologie ne seront pas embarrassés pour lui prouver qu’il se trompe grossièrement ; il leur suffira pour cela de substituer à certains mots dépourvus de sens d’autres mots d’une signification également inexistante, et pour peu que leur argumentation soit un peu longue, les plus malins n’y verront que du feu. Je crois qu’il est facile de mettre en évidence l’erreur fondamentale du raisonnement de saint Thomas en montrant qu’elle résulte d’une ignorance, fort légitime d’ailleurs, à l’époque où syllogisait le Docteur angélique.

Le point de départ de toute la Preuve est l’affirmalion sui-

    « Elle me donne le sens de la vie : la vie est un temps d’épreuve, dont la mort est le dénouement et dont l’éternité sera la sanction. Remis aux mains de mon libre arbitre, je puis à mon gré vouloir le bien ou le mal, que Dieu me fait connaître par ses commandements et me fait observer par sa grâce. Si j’use de ma liberté pour le bien, une éternité de bonheur sera ma récompense ; si j’en ai abusé pour le mal, une éternité de malheur sera mon châtiment. Les maladies, la douleur, les afflictions de toutes sortes, je sais ce que c’est : ce sont des moyens dont Dieu se sert pour éprouver ma fidélité, me faire expier mes fautes, me fournir l’occasion de pratiquer la vertu et d’acquérir des mérites ; si je les supporte avec patience, après avoir semé dans les larmes ici-bas, je moissonnerai dans la joie au ciel.

    « Elle m’éclaire sur l’au-delà, et projette sur ses mystères les plus consolantes lumières ou les plus effrayantes lueurs ; bien loin que tout finisse à la mort, c’est au contraire alors que tout commence. Au delà de la frontière de cette vie, il y en a une autre qui sera la sanction de celle-ci, dont la vie présente doit être la préparation, vers laquelle je dois faire converger toutes mes pensées, toutes mes affections, tous mes actes.

    « Elle m’explique l’humanité : Composée de créatures libres, elle est en marche vers ses éternelles destinées. Son histoire est l’histoire de la cité de Dieu en lutte contre la cité de Satan. Suivant le parti que chacun aura embrassé dans le combat, il ira peupler dans l’autre vie la patrie de la béatitude ou le lieu des supplices et des pleurs éternels »

    « Telles sont, M. T. C. F., les réponses de la Foi. Elles sont complètes : Dieu, l’union, l’homme, la vie, le monde futur, elles m’instruisent sur tout. »

    Voilà donc un document officiel écrit « en l’an de grâce 1902 » et non au dix-septième siècle comme on pourrait le croire ; ce document s’adresse au clergé d’un diocèse, c’est-à-dire à des gens qui doivent être assez instruits pour se rendre compte de ce que c’est qu’un symbole, mais il n’y a pas là trace de symbole ; il faut croire à l’existence d’un être infini et créateur dont la cité est cependant en lutte contre celle de Satan, et qui s’amuse à faire souffrir ses créatures pour s’assurer qu’il leur a donné une trempe solide ; toutes ces absurdités admises, le plus jeune enfant des écoles religieuses serait en effet plus instruit que les plus illustres philosophes !