Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/368

Cette page n’a pas encore été corrigée

position de l’Égypte et son climat sont encore, à très peu près, ce qu’ils étaient à cette époque. Or les oiseaux qui y vivent, s’y trouvant encore dans les mêmes circonstances où ils étaient alors, n’ont pu être forcés de changer leurs habitudes.

« D’ailleurs, qui ne sent que les oiseaux qui peuvent si aisément se déplacer et choisir les lieux qui leur conviennent, sont moins assujettis que bien d’autres animaux aux variations des circonstances locales, et par là moins contrariés dans leurs habitudes.

« Il n’y a rien, en effet, dans l’observation qui vient d’être rapportée, qui soit contraire aux considérations que j’ai exposées sur ce sujet, et surtout, qui prouve que les animaux dont il s’agit aient existé de tout temps dans la nature ; elle prouve seulement qu’ils fréquentaient l’Égypte il y a deux ou trois mille ans ; et tout homme qui a quelque habitude de réfléchir, et en même temps d’observer ce que la nature nous montre des monuments de son antiquité, apprécie facilement la valeur d’une durée de deux ou trois mille ans par rapport à elle.

« Aussi, on peut assurer que cette apparence de stabilité des choses dans la nature, sera toujours prise, par le vulgaire des hommes, pour la réalité ; parce que, en général, on ne juge de tout que relativement à soi.

« Pour l’homme qui, à cet égard, ne juge que par les changements qu’il aperçoit lui-même, les intervalles de ces mutations sont des états stationnaires qui lui paraissent sans bornes, à cause de la brièveté d’existence des individus de son espèce. Aussi, comme les fastes de ses observations et les notes de faits qu’il a pu consigner dans ses registres, ne s’étendent et ne remontent qu’à quelques milliers d’années, ce qui est une durée infiniment grande par rapport à lui, mais fort petite relativement à celles qui voient s’effectuer les grands changements que subit la surface du globe, tout lui paraît stable dans la planète qu’il habite et il est porté à repousser les indices que des monuments entassés autour de lui ou enfouis dans le sol qu’il foule sous ses pieds, lui présentent de toute part. »

Je m’arrête avec peine ; ces considérations me paraissent si admirables pour l’époque où elles ont été écrites que je serais tenté de recopier le livre tout entier.

Lamarck est donc convaincu que les êtres vivants ont varié, au cours des époques successives de l’histoire du globe. On lui a reproché comme une puérilité d’avoir cru impossible la disparition des espèces anciennes, sauf dans les cas où l’homme a directement opéré leur destruction, mais il est facile de voir en lisant attentivement ce passage, d’ailleurs assez peu clair, de son livre, que lorsqu’il parle de la disparition d’une espèce, il entend la disparition sans descendance même modifiée. Il y a là une confusion tenant à l’élasticité du mot espèce. Après avoir laissé entendre que, à son époque, on ignorait encore la faune et la flore de beaucoup de continents et surtout celles du fond des mers, et que par conséquent il ne fallait pas se hâter de déclarer perdue une espèce connue seulement à l’état fossile, il ajoute (p. 77) :