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m’exprimer ainsi, une image olfactive plutôt qu’une image visuelle. Cela nous paraît impossible parce que notre odorat est trop obtus et nous permet à grand’peine de distinguer l’espèce d’un animal que nous ne voyons pas, un rat musqué par exemple ou un cancrelas. Les fourmis se laissent aussi tromper par l’odeur ; il suffît de tremper une fourmi étrangère dans le jus obtenu en écrasant des individus d’une fourmillière donnée, pour que les autres habitants de la fourmillière considèrent cette étrangère comme leur sœur ; mon chien est, à cet égard, supérieur aux fourmis, car, s’il peut être trompé un instant sur la personnalité d’un individu revêtu de vêtements imprégnés de mon odeur, il ne tarde pas à reconnaître le subterfuge.

S’il attache d’ailleurs une importance plus grande aux renseignements olfactifs, le chien ne méprise pas pour cela les documents fournis par les yeux ou les oreilles. Un dogue appartenant à un officier courait après tous les pantalons rouges ; les chiens de régiment connaissent la sonnerie spéciale de leur corps et le rejoignent toujours pendant les manœuvres ; tous les animaux de cette espèce viennent à la voix ou au sifflet de leur maître…

Mais nous-mêmes, nous reconnaissons nos amis autrement qu’en les voyant ; nous pouvons être renseignés sur leur approche par leur voix, par le bruit de leurs pas ; au sanatorium d’Hauteville nous nous reconnaissions à notre toux. En résumé, nous connaissons les individus à une particularité quelconque, mais suffisamment précise, de leur constitution ; c’est par l’œil que nous, hommes, recueillons le plus de documents précis ; nous en recevons cependant aussi par l’oreille ; seulement, nous l’avons vu, l’oreille nous fait seulement connaître la forme des sons émis par nos congénères ; ces sons différent suivant les paroles prononcées ; mais il y a, dans la forme très complexe des ondes de notre voix, un ensemble d’éléments qui nous sont propres et qui se retrouvent dans toutes nos phrases ; ces éléments (timbre, intonation) renseignent celui qui nous écoute sur la structure de notre organe phonateur ; non pas que cela donne à notre voisin une image visuelle de notre larynx, mais cela lui fournit une image auditive qui est d’une précision admirable ; si admirable même qu’aucun autre détail isolé de notre structure anatomique, étudiée avec le seul secours de la vue, ne permettrait de nous reconnaître avec autant de certitude ; et cela nous amène à cette nouvelle conclusion que ce qui fait pour nous la supériorité de l’organe visuel, c’est le grand nombre de documents qu’il nous permet de recueillir à la fois, bien plus que la précision même de chaque document ; autrement dit, l’étude