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jamais songé à dire que notre sens auditif nous faisait connaître des formes, parce que nous n’avons pas l’habitude d’appeler forme quelque chose dont nous ne nous faisons pas une image visuelle. Le langage courant diffère en cela du langage mathématique. La forme d’une surface est définie algébriquement par une équation qui suffit à préciser entièrement la nature de la surface sans que nous ayons besoin de nous en faire une représentation optique. « As-tu déjeuné, Jacquot ? » définit la forme d’un mouvement aérien exactement au même titre que l’équation de la ligne sinueuse inscrite sur le phonographe ; mais il est probable que, sans le phonographe, nous n’aurions jamais su expliciter, au point de vue visuel, le seul qui nous paraisse suffisant, la forme de ce mouvement.


Toutes ces considérations, un peu longues, ont pour but d’amener à une conclusion que je crois de première importance au point de vue biologique, c’est que l’homme et les animaux peuvent, au moyen de certains sens, avoir une connaissance précise de formes qu’ils ignorent au point de vue visuel. S’il ne s’agissait que de l’homme, cela n’aurait pas grand intérêt, mais il nous arrive souvent de nous demander avec étonnement comment quelques animaux peuvent accomplir certains actes, et nous nous étonnerions moins si nous n’attachions pas une attention aussi exclusive à l’emploi des méthodes optiques.

Le retour des pigeons voyageurs ne nous paraîtra plus aussi prodigieux si nous songeons qu’un organe spécial peut leur fournir (sous quelle forme subjective, nous l’ignorons) l’équivalent de l’équation du chemin parcouru. Les fourmis savent reconnaître une piste suivie par leurs congénères et distinguent même dans quel sens la piste a été suivie ; cette particularité attribuée par Forel à un « odorat topochimique » nous paraît incroyable parce qu’aucun, organe ne nous permet de connaître ce que connaissent les fourmis. Les chiens aussi savent suivre une piste dans le sens convenable, mais ils savent également reconnaître leur maitre à l’odeur, et c’est là une chose non moins remarquable.

Mon chien me reconnaît à travers une porte ; il me reconnaît sous n’importe quel déguisement, tandis qu’il ne prendrait pas pour moi une statue de cire me ressemblant parfaitement. C’est donc qu’il se trouve bien mieux renseigné sur ma personnalité par son nez que par ses yeux. Peut-être se fait-il de moi, si j’ose