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nent d’achever, lèvent la main et demandent respectueusement : « — Monsieur, puis-je prendre un papier-buvard dans mon pupitre ? » On les soupçonne si fréquemment de tricherie que des jeunes gens de seize ans, même dans ce cas extrême, n’osent pas agir sans une autorisation spéciale.

Durant les sept ou huit ans qu’il passe à l’école, l’enfant n’apprend pas à se connaître. On ne lui donne pas l’occasion de dépenser son activité dans des directions variées ; on ne lui révèle pas ses propres forces. Aussi ignore-t-il le plus souvent ce qu’il serait capable de faire avec facilité et avec plaisir ; il ne sait pas que dans telle direction il ferait des progrès rapides et que dans tel domaine il rencontrera des difficultés peut-être insurmontables et de l’ennui : il ne connaît ni ses goûts ni ses aptitudes. Il sera peut-être capable de pérorer un quart d’heure sur les différentes formes de l’activité humaine ; mais, le jour où il se demandera : « Que vais-je devenir ? » il hésitera avec indifférence entre la profession de médecin et celle d’avocat, cependant que tel de ses camarades, moins fortuné que lui, se fera bureaucrate sans savoir qu’il eût pu devenir un ébéniste très habile.

En définitive L’École a sur l’enfant une influence profonde : elle le fatigue physiquement et moralement. Elle le fatigue parce qu’elle cultive en lui une faculté unique : celle de composer ou simplement de retenir des phrases. S’il est un « bon élève » il contractera peut-être pour toujours l’habitude des « définitions » et des « énoncés satisfaisants ». Les livres, les gens et les peuples qu’il connaît comme d’ailleurs ceux qu’il ne connaît pas, tout sera pour lui prétexte à formules. Il résumera en quelques mots définitifs tout ce qui arrêtera son attention. Il le fera parfois d’une manière piquante ; mais cette habileté ne suffira pas pour faire de lui un homme. Sa manie ternira pour lui la beauté du monde. Réduire les choses et les êtres à des mots, c’est le plus souvent les réduire à rien.

N’ayant pas vécu en contact avec la nature, l’écolier ne soupçonnera pas, plus tard, la joie qu’il aurait à l’étudier. Ayant trop longtemps connu l’inaction et l’ennui, il ne saura pas aimer et agir. Il énoncera sans peine de nobles règles de vie, mais il sera sans vitalité. À vingt ans, l’intelligence pauvre et le cœur vide, au lieu de s’enthousiasmer pour quelque belle illusion, il démontrera par un raisonnement la vanité de tout.