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Vieux avait tout abandonné : Brûlons notre bois, et s’il manque nous brûlerons la maison. Pour rien au monde, il n’eût fait un pas : « Je veux voir ce qui arrivera. » Le cul sur le banc, le cul sur les chaises, la Vie pouvait rester, la Mort pouvait venir, il en était à regarder ses pieds. Il n’avait plus ses idées comme autrefois alors qu’il se sentait à côté du poêle et que se chauffer l’occupait : Je me chauffe ! La peau de son cœur s’était tannée, la peau de ses os durcissait au feu et les contacts humains s’arrêtaient à sa tête comme des cris d’alarme aux pierres d’un clocher mort.

Jean lui raconta une drôle d’histoire :

— Dis donc, mon Vieux, je vais sans doute avoir une place à Paris. Il faudra venir avec moi.

— Ah ! par exemple, mon ami, on me croirait bien fou !

Il avait soixante-huit ans, la jambe enflée, les pensées dures, et vivait sur les deux cents francs de Jean avec du pain et du fromage pour durer le plus longtemps. La Vieille en mourant avait laissé trente francs, il n’avait pas encore payé le curé. Son âme de village s’était incrustée sans doute et les pierres de la maison ne la laisseraient pas partir.

La seconde fois, Jean avait reçu une lettre et dit :

— Hé, Vieux ! Je crois qu’on va bientôt y aller.

— Tu es bête, mon petit. Laisse donc les autres dans leur trou.

On ne pouvait pas le remuer, ses pieds tenaient au sol comme ses fesses à la chaise, et pour l’ébranler, il eût fallu ébranler un système, transporter une petite ville et donner à une expérience de vieillard la vie nouvelle qui bouillonne au cœur de ceux qui s’en vont.

La troisième fois, ce fut encore après une lettre. Jean dit :

— Fais ta malle, mon Vieux. Dans huit jours on y sera.

Le Vieux, soudain, plongea la tête comme on pique un plongeon, rétrécit ses épaules d’un mouvement frileux et s’assit de telle sorte que les idées noires l’entouraient en longues bandelettes.

Jean se mit à rire :