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une bête aux aguets. Le Vieux se taisait : c’était d’attente que sa tête était chargée ! Il avalait sa viande et ne s’étonnait guère parce que dans la vie l’on rencontre beaucoup d’abandon. Jacques avait bon cœur : d’ailleurs il était pressé par l’heure du départ.

— Mon père, moi je t’enverrai cent sous tous les mois. Le Vieux ne dit rien et comptait : trois sous et demi par jour ! Il avait l’habitude de ces calculs. Jacques reprit :

— Tu sais bien, quand on a des enfants… Enfin, si tu as par trop besoin, tu me feras écrire. Et puis, vois donc, mon père : à présent que tu est tout seul on ne te refusera pas au bureau de charité.

— Oh ! par exemple, je ne veux pas leur demander, répondit le Vieux. Ils ont voulu me mettre à la porte, ils voudront me reprendre, mais j’en suis le maître.

— Çà, c’est de la bêtise ! s’écria François. La vraie fierté consiste à avoir la panse pleine. Je ne parle pas de mon frère : lui il gagne plus que moi. Enfin, je tâcherai aussi de t’envoyer quelque chose.

— Tu parles à ton aise, dit Jacques. Chacun connaît sa bourse. Mais, je ne dis pas que je ne lui donnerai pas de temps à autre un peu plus que je ne promets. Toi, fais-en donc autant.

Et la grande Marie agitait ses grands bras :

— Ne crains rien, mon père. On s’occupera de toi. Moi je t’enverrai des provisions, des légumes, du café, du tabac à priser et je t’enverrai aussi du sucre. Et puis les petites viendront te voir et elles ne te seront pas à charge. Enfin, je te le dis : n’aie pas peur.

Jean baissait les yeux : il avait une façon à lui d’être malheureux quand les hommes n’étaient pas clairs.

chapitre v

Il y a des choses simples : deux et deux font quatre. Les deux camarades devinrent deux camarades d’hiver avec le poêle entre eux, dont le ronflement garnissait les tuyaux. Ils n’avaient rien à dire : la flamme parlait. Le