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par le sergent indigène, d’avoir opposé de la résistance à ce sous-officier, de s’être révolté, et enfin de s’être livré à des voies de fait dont le sergent porte, sur le dos de la main droite, une apparente marque. On devine l’étonnement et la stupéfaction de Donseau qui, fort de son droit, clame son innocence et crie à l’infamie. « Il m’est permis de ne point vous croire, répond à ses dénégations le capitaine chargé d’instruire cette affaire… Le sergent affirme que vous lui avez donné un coup d’ongle sur le dos de la main droite… Il est votre supérieur et ne peut mentir… Tandis qu’il vous est impossible, à vous, de prouver le contraire, » Une lueur se fait dans la mémoire de Donseau… Des figures vaguement entrevues devant les locaux disciplinaires au moment où le sergent le menait en cellule, lui reviennent en souvenir. Des preuves ! mais il va en fournir, des preuves… Les gens qui étaient là, dans la cour, ont vu s’il s’était révolté contre le sergent, et ils pourront dire ce qu’ils ont vu… Et il donne des noms au capitaine qui consent à prendre au hasard trois des témoins indiqués et à les interroger. Ce sont les nommés Mercier, David et Arachart, tous fusiliers à la 4e compagnie de discipline. Ils rapportent ce dont ils furent témoins. — affirmant, sous la foi du serment, que Donseau, pendant le trajet du corps de garde aux locaux disciplinaires suivit avec calme le sergent indigène, et qu’ils virent nettement celui-ci s’écorcher la main contre l’angle de la porte du local où il venait d’enfermer le puni. On transcrit leur déposition, qu’ils signent, et… on ramène Donseau dans sa cellule. Sept mois plus tard, il comparaît devant le conseil de guerre d’Alger, sous la prévention de « voies de fait envers un supérieur à l’occasion du service ». Au cours des débats, le colonel-président trouve au dossier les dépositions des trois témoins Mercier, David et Arachart, interrogés sept mois auparavant à Laghouat, et il s’étonne qu’on ne les ait pas cités à l’audience. « J’ai pensé que c’était inutile, répond le commissaire du gouvernement, et qu’il n’y avait pas à tenir compte de ces dépositions, auprès de celle, si nette, du sergent… Il est manifeste que ces trois hommes s’entendent entre eux pour sauver leur camarade… — C’est

    des tirailleurs. Pourtant, Amadei s’était juré de se venger de la plainte adressée contre lui par les disciplinaires. Lui-même, un jour qu’il était venu à la caserne des tirailleurs pour soumettre à une revue de linge et chaussures ses disciplinaires punis, leur avait annoncé (ce sont ses paroles presque textuelles) que « si jamais ils retombaient sous sa coupe, leur peau ne vaudrait pas cher entre ses mains, qu’il se chargeait de leur mettre les tripes au soleil : que, s’il ne parvenait à avoir leur peau, il leur réservait quelques motifs de derrière la tête, avec lesquels ils trouveraient sans peine dix ans au conseil de guerre ; qu’en attendant, il se réservait de les passer en consigne aux gradés des compagnies où ils seraient en subsistance pendant leur punition, et qu’il espérait que ces gradés sauraient profiter de ses recommandations… » Sans doute, les gradés surent profiter des recommandations du sergent Amadei. Trente jours après leur fuite du Col des Sables, la somme des punitions de prison infligées aux disciplinaires atteignait, pour chacun d’eux, plusieurs mois. Du 25 décembre au 14 avril suivant, dix hommes, sur les vingt-huit qui formaient ce camp, furent mis en prévention de conseil de guerre pour des motifs futiles, et le conseil de guerre d’Alger les condamna à des peines variant d’un an de prison à dix années de travaux publics. Cinq autres entrèrent à l’hôpital. Deux moururent.