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compte que ce n’est pas une vieille bête qui peut mener de telles choses. Il avait remarqué, lorsqu’il allait chez Monsieur Edmond Lartigaud, que Georgette lui demandait : « Eh bien ! et le petit Jean Bousset, qu’est-ce qu’il devient ? » Un jour que Jean se trouvait là, il avait encore remarqué que Georgette tournait autour de lui et s’essayait à l’entraîner à l’écart. La jeunesse trouve cela naturel, parce qu’à cet âge l’on vit au milieu de toutes les occasions et l’on n’a pas assez d’expérience pour les choisir. C’était une fille qui n’était peut-être pas très jolie, ayant la peau un peu noire, mais toutes les femmes se valent pour ce qu’on en fait. Il disait à Jean : « Tu es comme les autres. Je vais te donner un conseil : j’en connais une qui serait ton affaire. » Il devait être bien naïf pour n’avoir pas l’air de comprendre.

Il arriva plusieurs fois, alors que le Vieux devait rouler Monsieur Edmond, que Jean se trouvait là et les accompagnait dans le jardin. Monsieur Edmond se plaisait à causer avec lui parce qu’il était ingénieur et qu’un titre sert de sanction aux paroles que l’on prononce. Et puis sa grande jeunesse vous relevait vous-même : on pouvait lui donner tort. Monsieur Edmond disait : « Je vois bien ce que tu as voulu faire. Tu es un socialiste, quoi ! Moi, je ne vais pas chercher si loin. Le père Perdrix, par exemple : quand je lui dois des sommes comme quatre francs dix sous, en bien ! je lui donne cent sous. Voilà ce que j’appelle du socialisme ! Et je lui paye encore la goutte. » Monsieur Edmond parlait, Jean lui répondait et le Vieux pensait : « Oui, oui ! parle. C’est l’enfant d’un ouvrier, mais il en sait plus long que toi. » Au fond, il était fier de les voir ensemble, se rattachait à Jean, se rappelait qu’il était son oncle et s’agrandissait comme l’égal d’un bourgeois.

Mais il y avait mieux que cela. Causer est bien ; mais il faut aussi profiter de sa jeunesse. Le Vieux avait envie de crier : « Enfin, fous donc le camp ! Ta place n’est pas ici. Je te dis qu’elle cherche le mâle ! » Le fait est que Georgette essayait de l’attirer du côté de la cuisine et ensuite elle l’eût emmené dans les chambres où n’entrait personne.

Un jour, sur le banc, le Vieux lui posa catégoriquement la question : « Que tu es bête, mon pauvre ami ! Moi, à ton