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les premiers temps elle disait à sa fille : « Je suis bien perdue, va ! » Plus tard, on ne sait quoi, quelque souvenir de lecture, quelque histoire de labyrinthe, fixa dans sa tête une image et confondit les sentiments. Elle se levait, marchait, gesticulait en criant : « Je suis dans la Byringue ! Je suis dans la Byringue ! » On essaya de tout, on la raisonna, puis on se résolut à la faire garder. Le jour, elle restait dans la chambre, chez ses enfants, où il y avait toujours du monde, mais la nuit on ne pouvait pas la laisser seule chez elle. Ce fut la mère Perdrix que l’on retint. Tous les soirs à huit heures elle descendait, couchait la vieille et se couchait elle-même dans le lit d’à côté. Il fallait garder de la lumière toute la nuit. Parfois la mère Turlaud se dressait sur son lit, donnait des mains, tâtait l’espace et poussait des soupirs : « Je suis dans la Byringue ! Je suis dans la Byringue ! Ah mon Dieu je suis dans la Byringue ! »

La mère Perdrix disait :

— Mais non, madame Turlaud, mais non ! Regardez donc : c’est votre chambre ! Vous me reconnaissez bien : Je suis la mère Perdrix. Voyons, couchez-vous.

Mais, des fois, tout cela durait longtemps et il y avait plusieurs séances dans la nuit. Enfin, la mère Perdrix y gagnait sa pièce de vingt sous.

À midi, la Vieille et le Vieux déjeunaient. Quand il n’y avait pas des pommes de terre, c’est qu’il y avait des haricots. Chacun d’eux buvait de l’eau dans un gobelet. C’étaient deux gobelets blancs avec un ornement bleu : celui du Vieux portait inscrit en lettres rouges le nom de Suzanne et celui de la Vieille le nom de Louise. Ils mangeaient très vite, avec de gros couteaux en fer de six sous, qui pouvaient couper de grosses bouchées de pain, mais ne coupaient que de petites bouchées de fromage. Et tout de suite, tout de suite, la Vieille prenait un panier, coiffait son vieux chapeau jaune et renfermé de vieille et s’en allait dans la campagne pour y ramasser du pissenlit et du cresson. Elle apprit bien vite à connaître les prés, les fontaines, les filets d’eau et les pentes. Elle ouvrait les barrières, sautait les échaliers, franchissait les bouchures en les aplatissant à coups de talon et portait toujours en sa jupe quelque morceau