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Mémoires d’un fou[1]


XIV


Il fallut partir ; nous nous séparâmes sans pouvoir lui dire adieu. Elle quitta les bains le même jour que nous, — c’était un dimanche : — elle partit le matin, nous le soir.

Elle partit et je ne la revis plus. Adieu pour toujours ! Elle partit comme la poussière de la route qui s’envola derrière ses pas. Comme j’y ai pensé depuis ! combien d’heures, confondu devant le souvenir de son regard, ou l’intonation de ses paroles !

Enfoncé dans la voiture, je reportais mon cœur plus avant dans la route que nous avions parcourue, je me replaçais dans le passé qui ne reviendrait plus ; je pensais à la mer, à ses vagues, à son rivage, à tout ce que je venais de voir, tout ce que j’avais senti ; les paroles dites, les gestes, les actions, la moindre chose, tout cela palpitait et vivait ; c’était dans mon cœur un chaos, un bourdonnement immense, une folie.

Tout était passé comme un rêve. Adieu pour toujours à ces belles fleurs de la jeunesse si vite fanées et vers lesquelles plus tard on se reporte de temps en temps avec amertume et plaisir à la fois ! Enfin, je vis les maisons de ma ville, je rentrai chez moi ; tout m’y parut désert et lugubre, vide et creux. Je me mis à vivre, à boire, à manger, à dormir.

L’hiver vint, et je rentrai au collège.


XV


Si je vous disais que j’ai aimé d’autres femmes, je mentirais comme un infâme.

Je l’ai cru cependant, je me suis efforcé d’attacher mon cœur à d’autres passions, il y a glissé comme sur la glace.

Quand on est enfant, on a lu tant de choses sur l’amour, on trouve ce mot-là si mélodieux, on le rêve tant, on souhaite si fort d’avoir ce sentiment qui vous fait palpiter à la lecture des romans et des drames, qu’à chaque femme qu’on voit on se dit : n’est-ce pas là l’amour ? On s’efforce d’aimer pour se faire homme.

  1. Voir dans La revue blanche des 15 décembre 1900 et 1er janvier 1901, le commencement de cette œuvre d’adolescence