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aux âmes nobles qu’il reste un domaine intérieur soustrait à la politique, aux formes sociales de la pensée. Il peut éduquer « des hommes vaillants, des hommes qui, silencieux, solitaires et décidés, s’entendent à se contenter de l’activité invisible qu’ils poursuivent ; des hommes qui aient leurs propres fêtes, leurs propres jours de travail et de deuil ; des hommes plus exposés, plus terribles, plus heureux ». Qui sait ? il peut même créer d’autres hommes, qui, pour l’amour des premiers, leur soient de volontaires instruments.

« Hélas, il y a tant de gens que dévore la soif malsaine de s’élever, tant d’ambitieux qui s’agitent désespérément ! Montre-moi que tu n’es pas un de ces assoiffés, un de ces ambitieux.

« Tu te dis libre ? Mais je veux savoir quelle est la pensée qui te domine, et non quel joug tu as secoué. »

« Es-tu de ceux qui ont le droit de secouer un joug ? Il en est qui ont rejeté tout ce qui leur donnait quelque valeur, en rejetant leur servitude… »

Oui, j’imagine une race de nietzschéens fiers de servir, si le service en vaut la peine. Leur exemple serait méritoire ; il tenterait les jeunes gens. Mais il faut que quelqu’un commence, et de tels nietzschéens, jusqu’ici, — pas plus que Nietzsche de surhommes — je n’en ai jamais rencontré.

Michel Arnauld